INTOX. Pendant que le polémique projet de loi relatif au renseignement passe en première lecture à l'Assemblée nationale, plusieurs députés socialistes se passent le relais pour rassurer les détracteurs et minimiser les changements induits par le texte. La «loi renseignement» vise officiellement à renforcer les moyens des services de renseignement pour prévenir, entre autres, les attaques terroristes et les crimes organisés. Dans les faits, elle fait entrer dans le champ du renseignement bon nombre de méthodes autorisées par la police judiciaire et déjà utilisées, de manière officieuse, par les services de renseignement.
Introduction de nouveaux motifs de surveillance, notions juridiques floues... Plusieurs points ont déjà alerté la Commission nationale de l'informatique et des libertés (la CNIL), des syndicats de magistrats et des associations de défense des droits des citoyens. Invité au micro d'RTL, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, est moins inquiet :
— Jean-Michel Aphatie : En gros, les services de renseignement pourront, assez facilement et sans vrai contrôle, prendre des informations sur nos ordinateurs, nos téléphones portables?
— Le Roux: Non, monsieur Aphatie, ils ne pourront pas faire cela.
C'est à 3'50 environ :
Le lundi soir, c'était au tour du député Eduardo Rihan-Cypel, invité sur France 2, de faire un excès de zèle face aux tacles de l'ancien ministre UMP de la Défense Hervé Morin (opposé au projet de loi) :
− Cypel : Il est vrai que les Imsi-catcher captent très largement, mais les services ont pour obligation d'écraser les données qui ne les intéressent pas...
− Morin : Si l'Imsi-catcher capte quatre ou cinq personnes qui sont en train de converser sur un paiment en espèces...Il aura tout à fait le droit de transférer les données à Tracfin.
− Cypel : Mais ce n'est pas cela que l'on capte, ce sont les données de connexion, on ne rentre pas dans le contenu des conversations!
A écouter à 1'04 environ :
DESINTOX. Bruno Le Roux, pas vraiment spécialiste des questions de sécurité intérieure, a peut-être aussi mal lu le projet de loi. Sinon, il n'affirmerait pas que les téléphones portables seraient exempts des mesures de surveillance... En fait, les écoutes téléphoniques sont encadrées par la loi du 10 juillet 1991. Une des nouveautés du texte en cours de discussion, c'est l'autorisation des écoutes administratives (les «interceptions de sécurité») pour les proches des personnes surveillées, celles qui sont «susceptibles de jouer un rôle d'intermédiaire, volontaire ou non, pour le compte de cette dernière ou de fournir des informations au titre de la finalité faisant l'objet de l'autorisation». N'en déplaise à l'élu socialiste, la loi permettra aussi de pirater les ordinateurs suspects − une technique déjà utilisée par la police judiciaire, sous le contrôle d'un magistrat.
Si le texte est voté tel quel, l’Etat pourra aussi passer au tamis de mystérieux algorithmes conçus par les services (les «boîtes noires»), les données de connexion des opérateurs de télécommunication et des hébergeurs. Et l'usage de fausses antennes relais, les «Imsi-catchers» qui permettent déjà de «pêcher» des infos de manière aléatoire dans un lieu donné (en interceptant la masse de données émises par les téléphones portables), sera officiellement encardré.
Ce sont ces engins, déjà utilisés officieusement par les renseignements et utilisés dans plusieurs pays, qui suscitent la plupart des inquiétudes. Et quand Eduardo Rihan-Cypel veut minimiser leur portée, il ne peut pas s'empêcher d'aller un peu trop loin... Car contrairement à ce qu'il affirme, les Imsi-catchers peuvent bel et bien intercepter le contenu des conversations téléphoniques en plus des données de connexions. C'est possible techniquement et surtout autorisé dans le projet de loi (à l'article L851-7) si la demande rentre dans le cadre de l'un des sept motifs de surveillance prévus par le texte.
Rihan-Cypel va encore un peu vite quand il assure que les services «l'obligation d'écraser» les données qui ne les intéressent pas. Avant d'être détruites, elles peuvent être conservées par les services pendant une durée de 30 jours maximum, s'ils ne correspondent pas à l'autorisation de mise en œuvre (article 2, II bis, 4°).
A lire aussi, les fact-checkings de nos confrères des Décodeurs et l'analyse du site Nextinpact.