On ne peut pas tout avoir. Si François Rebsamen est tout content d'avoir réintégré le siège historique du ministère du Travail, où ont été signés les accords de Grenelle - «Mai 68, André Bergeron, le salaire minimum à 3 francs de l'heure», récite-t-il admiratif -, ce retour dans les murs du «122» après deux ans de travaux ne fait pas son bonheur personnel. «Je dors très mal ici», glisse le ministre, dont l'appartement officiel donne, certes, sur un jardin somptueux, mais aussi sur le très bruyant boulevard des Invalides.
Après une dernière nuit de boulot sur un texte qui inquiète une partie de la gauche, ce social-libéral assumé entre ce mercredi dans le petit cercle des ministres qui accolent leur nom à une loi. En acceptant un poste au gouvernement après deux refus - François Hollande lui avait proposé le ministère de la Décentralisation, pourtant plus dans ses cordes politiques -, François Rebsamen a hérité en avril 2014 du pire dossier du quinquennat (le chômage) et de l'un de ses moins mauvais (le dialogue social). Rien ne prédestinait l'ancien maire de Dijon, spécialiste de la sécurité et de la carte électorale socialiste, à un portefeuille social. Il se serait bien vu à l'Intérieur, un job promis de longue date à Manuel Valls. «Il est sur un thème qui n'est pas le sien, c'est vrai, mais il a un parcours socialiste et hollandais qui rend sa présence légitime au gouvernement», défend un socialiste bourguignon.
Au Parti socialiste comme au gouvernement, tout le monde l’appelle «Rebs», histoire de ne pas le confondre avec les autres camarades «François». Pas tant Mitterrand, qui lui a pourtant fait quitter la Ligue communiste révolutionnaire pour s’engager au PS en 1974, que Hollande, son «ami» président, qu’il continue de tutoyer, sauf dans le huis-clos du Conseil des ministres. Repéré par Pierre Joxe, il sera son chef de cabinet à la présidence de la région Bourgogne au début des années 80, puis au ministère de l’Intérieur. Parallèlement, il s’installe au cœur du PS, dans les cabinets des premiers secrétaires Mauroy et Fabius, avant d’être propulsé numéro 2 de François Hollande en 1997.
Né en 1951 d’un père alsacien qui échappa aux malgré-nous - ces Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale - en s’installant en Suisse, et d’une mère catalane, il a chopé le virus de la politique chez son grand-père maternel, Edouard Agron. En 2001, François Rebsamen fait basculer Dijon à gauche pour la première fois depuis 1935, marchant sur les traces de ce chirurgien et professeur de médecine qui fut conseiller municipal de la capitale de Bourgogne juste avant le Front populaire.
Moustache. Directeur de campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007, il est élu premier sénateur de gauche de Côte-d'Or depuis 1948 un an plus tard. Opposant farouche du non-cumul des mandats (voté depuis), il est en revanche partisan des majorités «arc-en-ciel» allant des écolos aux centristes. Ce qu'il a mis en place à Dijon sans jamais réussir à le faire avaler à Hollande. Voix de stentor Marlboro - comme un fumeur repenti, il se souvient à la semaine près de sa dernière clope, en janvier 2013 - et costards ajustés, il a rasé une moustache qui le situait sur l'échelle stylistique entre Isaac, le barman de La croisière s'amuse, et Philippe Martinez, nouveau patron de la CGT. Sa fille, aujourd'hui trentenaire, trouvait que cela faisait «vieux». Ancien soixante-huitard et ex-noceur, il regrette de ne plus avoir assez de temps (et de corne aux doigts) pour jouer sur la guitare que lui a dédicacée Carlos Santana en 2010, et s'aère l'esprit sur des sites de pêche à la mouche.
En quittant Grenelle pour Bercy, Michel Sapin lui a légué deux choses : Titi le poisson rouge, qui trône toujours dans son bureau, et une «inversion de la courbe» du chômage qui ne vient toujours pas. Lui, en bon pragmatique, a préféré arrêter la communication mensuelle sur les demandeurs d'emploi. «Je ne fais pas de courbe, je fais des perspectives», assène celui qui peine à prouver sa conversion aux thématiques de l'emploi, et préfère se vivre en «ministre des entreprises». Totalement raccord avec la politique de l'offre, le CICE et le «pacte de responsabilité», il aime à dire que «ce sont les entreprises qui créent de l'emploi, pas nous». Une liberté de ton - un manque de sérieux, dézinguent ses adversaires - qui l'a amené à multiplier les petites phrases cash. Brouillant son image (souvent) et une partie de l'action gouvernementale (parfois). Au point qu'on a cru qu'il se préparait une porte de sortie en laissant entendre qu'il pourrait être candidat à la tête de la région Bourgogne-Franche-Comté, qu'il sera difficile de garder à gauche en décembre prochain. «Ministre des boulettes et de la défaite, ça aurait fait beaucoup», balance un dirigeant PS du cru. Quand les intermittents lui ont décerné le Molière «de la meilleure trahison pour son rôle d'employé du Medef», le Président s'est fendu d'un SMS de soutien. Nocturne et hilare.
Molière. Dans le registre intempestif, il a voulu réformer les seuils sociaux et renforcer le contrôle des chômeurs. Avant de faire amende honorable et de laisser passer l'assouplissement du travail du dimanche sans se mouiller, lors de l'examen de la loi Macron. En mars, il assure que «le contrat de travail n'impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié», mélangeant droit civil et code du travail. Avant de donner l'impression, quinze jours plus tard, de plomber le «compte pénibilité» en annonçant la suppression des fiches techniques détaillant les postes des salariés pour les patrons de TPE. Son entourage jure qu'on cherche la petite bête et qu'on «surinterprète» : «Ce n'est pas le méchant libéral que tout le monde attaque.» Pour Luc Bérille (Unsa), il est «compliqué de savoir si ce sont des bourdes, des phrases sorties de leur contexte ou des choses plus calculées». Mais aux yeux du syndicaliste, le passé d'élu local de Rebsamen «lui évite d'être dans une réflexion de salle déconnectée du réel». «Il a fait de gros progrès par rapport aux premiers rendez-vous où on le sentait un peu perdu, abonde Joseph Thouvenel (CFTC). Il fait son boulot entre un Premier ministre très fort et un ministre de l'Economie qui joue au Premier ministre bis.» Certains socialistes n'ont pas cette mansuétude. «Au ministère du Travail, on a un apparatchik alors qu'on aurait plutôt besoin d'un profil syndicaliste à bretelles qui boit du rouge avec les centrales», lâche un député PS. En privé, Rebs se dit confiant sur son baptême du feu parlementaire, fin mai. Pas question de rejouer la loi Macron, le ministre promet : «Mon texte aura la force du rassemblement.»