Cette fois-ci, le Premier ministre grec Aléxis Tsípras se trouve réellement au pied du mur. Il ne peut plus ruser, il ne peut plus atermoyer, il ne peut plus balancer entre l’ivresse de l’affrontement et le vertige de la résignation. Depuis la victoire de Syriza aux législatives et l’ascension au pouvoir d’une formation incarnant la gauche de rupture, il n’a cessé d’alterner signes de coopération avec l’Union européenne et symboles de résistance face à la troïka (Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international). Dans une répartition des rôles classique - qui connaît mieux les règles du théâtre que les Grecs ? -, son ministre des Finances, Yánis Varoufákis, incarnait l’intransigeance ostentatoire, cependant que lui-même ménageait les chances du dialogue.
A Bruxelles, le jeune Premier ministre grec, défendait ses positions sans fermer la porte aux compromis, cependant qu’à Athènes, redevenu l’orateur enflammé et lyrique de sa campagne victorieuse, il tempêtait et menaçait. En trois mois, le climat entre Bruxelles et Athènes a changé dix fois, sans qu’aucun progrès significatif ne puisse se produire. L’équipe grecque, enthousiaste et inexpérimentée, a accumulé les maladresses. L’Union européenne, excédée et circonspecte, n’a pas cherché l’épreuve de force. Aujourd’hui, la Grèce n’a plus un euro en caisse et va devoir faire face à des échéances implacables et massives. Il va falloir mettre cartes sur table, trancher entre l’alignement et la rébellion, entre une guerre perdue d’avance et une mauvaise paix.
Car il n’existe pas de bonne solution au chaos grec. Si Aléxis Tsípras refuse les fameuses réformes de structure que veulent lui imposer ses créanciers (celles qu’il a jurées à son peuple de ne jamais consentir), il devient parfaitement possible que les nouveaux crédits dont il ne peut se passer lui soient refusés. Les gouvernements européens sont exaspérés d’entendre les Grecs rejeter les règles communes au nom de la légitimité démocratique de leur toute récente élection. Les 28 Etats-membres sont tous issus d’élections légitimes et le dernier élu n’est pas plus démocratique que chacun des autres. Si certains gouvernements (la France, l’Italie) militent pour un compromis, d’autres pays ne sont pas prêts à accepter une dérogation grecque que leurs parlements refuseraient d’ailleurs de ratifier. Une bonne dizaine d’Etats, ayant consenti de terribles sacrifices pour assainir leur situation économique, se refusent à payer pour la Grèce, d’autant plus que certains sont aussi pauvres qu’elle. Or l’unanimité est nécessaire pour trouver une solution.
Personne ne pourrait se réjouir d’un échec. Sans nouvelle aide, la Grèce est acculée au défaut, c’est-à-dire à la faillite. Elle ne peut plus appartenir à l’euro, sa présence dans l’Union elle-même est remise en cause. Les conséquences sont dramatiques pour Athènes : fuite des capitaux, flambée des taux d’intérêt, grève des investisseurs, chômage et misère sociale redoublée. C’est l’impitoyable régression vers la Grèce d’avant l’Europe, avec risque du retour de l’extrême droite. Pour l’UE, ce n’est pas mieux. Un Etat-membre en faillite, c’est un gigantesque échec collectif, le péril de la contagion, le spectre de la déstabilisation. Certes, l’UE a renforcé ses moyens de défense mais la Grèce en faillite, c’est l’Europe en péril.
Pour éviter ce scénario cauchemar, il faut imagination, sang-froid et bonne volonté de toute part. Le FMI n’a guère de possibilité de souplesse. L’affaire doit donc se régler entre Européens. Il n’y aura pas d’accord si Aléxis Tsípras n’assouplit pas sa position et n’accepte pas certaines des réformes qu’il récuse jusqu’ici. Il n’y aura pas d’accord non plus si les Européens ne veillent pas à permettre au Premier ministre grec de sauver la face. Pour éviter la faillite à son pays, Tsípras devra renoncer à son programme romantique. Pour l’aider à le faire, les Européens devront habiller élégamment la retraite grecque en succès conjoint d’Athènes et de Bruxelles. Pour vaincre les réticences des pays européens les plus intransigeants, il faudra peut-être envisager, au-delà des crédits conditionnels en faveur de la Grèce, des restructurations réalistes des dettes nationales ne concernant pas seulement Athènes mais tous les pays européens sous pression.
La gestion nationale de la Grèce n’a cessé d’être calamiteuse depuis des décennies. L’Europe s’est montrée tour à tour trop laxiste puis trop brutale. Aléxis Tsípras a cru qu’une révolte éloquente et téméraire contre les cruautés du marché pouvait inaugurer une voie onirique. Il s’est pris pour Achille quand il fallait devenir Ulysse. Tout le monde s’est trompé.
Prochaine chronique «Politiques» le 7 mai.