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Libération

La ministre de l’Ecologie contourne Macron et trace sa route

Face aux sociétés d’autoroutes, Royal a obtenu une victoire en trompe-l’œil.
publié le 24 avril 2015 à 20h56

Un bras de fer public contre les sociétés d'autoroutes, auxquelles le gouvernement Villepin a vendu en 2006 des concessions en béton armé autant qu'en or massif, la cause était belle. Ségolène Royal n'a pas hésité à brocarder ces «rentiers», en premier lieu des géants du BTP comme Vinci ou Eiffage, sans toutefois aller jusqu'à prôner le rachat des concessions, qui pourrait coûter jusqu'à 40 milliards d'euros.

Focalisant son combat, entamé cet automne, sur la hausse annoncée et «scandaleuse» des tarifs des péages de 0,57% au 1er janvier, la ministre de l'Ecologie, au grand dam de Bercy, réalise alors «le hold-up politique du siècle», glisse un conseiller ministériel, sur une question ô combien symbolique et liée au pouvoir d'achat. Dans un rapport remis à cette période et qui avait mis le feu aux poudres, l'Autorité de la concurrence avait pointé une hausse des tarifs supérieure en moyenne depuis 2006 au rythme de l'inflation, apportant de l'eau à son moulin.

«Révolutionnaire». Dans un premier temps, sur fond d'abandon coûteux de l'écotaxe poids lourds, Royal a proposé, durant la discussion du projet de loi de finances, de mettre en place une taxation des «superprofits» des sociétés d'autoroutes, pointant «le côté un peu choquant de voir les sociétés d'autoroutes en situation de monopole faire autant de profits». De Bercy, le ministre des Finances, Michel Sapin, s'y était alors opposé, soulignant tout en prudence que «les sociétés autoroutières ont bénéficié […] de contrats extrêmement avantageux […], extrêmement bien faits, [qui] prévoient que s'il y a une augmentation de fiscalité, […] il doit y avoir une compensation». Pas de quoi clore le sujet pour la ministre de l'Ecologie qui émet alors - un peu vite - l'idée de rendre les autoroutes gratuites tous les week-ends. Sauf que, d'une part, les concessions réalisent 70% de leur chiffre d'affaires à ce moment-là, mais, surtout, cela aurait constitué un appel pur et simple à brûler essence et diesel sans vergogne le samedi et le dimanche… Le mois dernier dans le Parisien, revenant sur cette sortie, Royal a jugé qu'elle n'avait pas été retenue car elle était «trop révolutionnaire».

Nous sommes au début de l'année, et les sociétés d'autoroutes continuent leur intense lobbying médiatique et politique, tandis que les négociations se poursuivent avec les cabinets de Royal et du ministre de l'Economie, Emmanuel Macron. La hausse initialement prévue au 1er janvier est d'abord repoussée à début février, ce qui convient à Bercy, mais lors de la dernière réunion, au culot, la ministre rentre carrément dans la pièce, et lance aux sociétés d'autoroutes : «Ça n'est pas possible» d'augmenter le prix des péages dans la période actuelle. Et emporte finalement leur accord début avril pour un gel des tarifs en 2015. Sur le papier, une victoire politique d'un affichage aisé, dont Manuel Valls s'est d'ailleurs emparée lors de sa conférence de presse sur les investissements.

Extension. Mais derrière le slogan du gel des tarifs - et un engagement de 3,7 milliards d'euros d'investissements -, les sociétés d'autoroutes n'ont pas tout perdu, loin de là. Royal est la seule à affirmer qu'elles ne rattraperont pas ce gel dans les prix des années à venir, et elles ont obtenu une extension de deux à quatre ans de leurs concessions. Au total, certains prédisent d'ailleurs qu'avec la reprise qui s'amorce, leur chiffre d'affaires devrait continuer à augmenter. Dans ce dossier, Royal a bien remporté une bataille, mais de court terme.