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Libération
Analyse

Les bras de fière de Royal

La ministre de l’Ecologie, égale à elle-même, n’hésite pas à jouer des rapports de force, quitte à créer des tensions avec des personnalités du gouvernement et de la majorité.
Segolene Royal, ministre de l'Ecologie
publié le 24 avril 2015 à 19h56

Elle est capable d'accueillir le pape François sur le sol français au nom de François Hollande. De s'opposer au Premier ministre sur la construction d'une portion d'autoroute traversant «son» marais poitevin. Tout en rassurant ses compatriotes à l'approche des fêtes - «Vous pourrez vous faire une petite flambée de Noël» -, après avoir autorisé les feux de cheminée au terme d'un énième bras de fer. Numéro 3 du gouvernement depuis un an, toute puissante ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, Ségolène Royal continue à faire ce qu'elle fait de mieux : mettre les pieds dans le plat pour faire avancer ses dossiers. Même si elle déteste l'expression et juge son travail «bien plus sérieux que ça». «Je dis les choses comme je les sens, comme je les vois. Si on les entend plus parce que c'est moi qui les dis, tant mieux», explique-t-elle à Libération.

«Sarkozyste». Depuis cet automne, elle a fait adopter ses deux lois à l'Assemblée nationale (transition énergétique et biodiversité) et haussé le ton à mille reprises, sur des sujets souvent liés au portefeuille de ses concitoyens, des tarifs des péages aux billets de train en passant par le prix de l'électricité. «Elle a un petit côté sarkozyste, s'amuse Stéphen Kerckhove, le délégué général d'Agir pour l'environnement. Il y a chez elle une méfiance envers les corps intermédiaires et une préférence pour les relations directes avec le peuple. Quand elle a une idée, elle estime qu'elle n'a pas besoin de concertation, ce qui est quand même assez prétentieux.» Mais Ségolène Royal prend aussi bien soin de rester dans son couloir ministériel, «l'excellence environnementale».

Après douze années à l'Assemblée et dix à la tête de la région Poitou-Charentes, l'ancienne candidate à la présidentielle envisage désormais la politique autrement. Avec un grand «P» et à l'échelle de la planète. Les élections, les campagnes, la politique partisane, «ce n'est plus mon timing», expliquait l'éternelle candidate sur France Inter en octobre, trois ans après sa sévère défaite à la primaire socialiste. «Je travaille pour le futur, mais je ne me projette pas dedans, je suis les deux pieds bien dans le présent à la recherche de solutions», complète-t-elle aujourd'hui, récusant tout avenir à la Al Gore, qui ne fut jamais président des Etats-Unis, mais est devenu lobbyiste en chef de la cause écologique. «Elle a réussi à se convaincre qu'elle était là pour sauver la planète, raille une source ministérielle. L'Elysée, la France, c'est trop petit pour elle maintenant. Elle construit sa propre icône.»

Du coup, on en est pour ses frais quand on l'interroge sur le remaniement, le retour des écologistes au gouvernement, l'état de la gauche, des banlieues ou l'approche de 2017. On est prié de comprendre que son travail au quotidien paiera et pèsera lourd au moment de la présidentielle. En résumé : elle parle aux Français et à Hollande. «Si je voulais partir, on me demanderait de rester», a-t-elle même osé dans les colonnes de Ouest-France début avril. «Elle n'a pas un statut à part, elle est à part», sourit un conseiller. «Quoi qu'on en dise, elle joue collectif, vante de son côté le député Sébastien Denaja, qui anime la petite cellule ségoléniste de l'Assemblée nationale. Tout le monde avait parié qu'elle serait indomptable ou infernale, mais la vérité, c'est qu'elle sort très peu de ses sujets.» Ce qui n'empêche pas les couacs sur des dossiers qu'elle a en partage avec d'autres membres du gouvernement. Une Madame Sans-Gêne qui ne dédaigne aucun combat si elle juge la «cause juste». Ce qui peut aller jusqu'à ouvrir un «débat public sur le changement d'heure»…

«Cuisine». Quand elle a intégré l'équipe Valls au printemps dernier, Royal a repris son plaidoyer historique contre l'écologie punitive, déboulonnant, après la taxe carbone, l'écotaxe poids lourds. Mais aujourd'hui, elle s'éloigne de toute définition négative et entend défendre «l'écologie positive qui débouche sur la croissance verte». Raccord avec la ligne pro-entreprises de Hollande, elle vante le green business et la création de 100 000 emplois dans la rénovation des bâtiments. Pour abonder le Fonds vert pour le climat, elle veut convaincre «la finance toujours pervertie de jouer le jeu pour la première fois dans l'histoire du monde». Comme une réplique sismique verte au discours du Bourget du candidat Hollande.

Souriante et concentrée, Royal fait toujours des blagues. «A lui les sommets, à moi… la cuisine et les casseroles», se marre-t-elle quand on l'interroge sur son binôme avec Laurent Fabius, pas franchement connu pour son féminisme débridé, en vue de la conférence de l'ONU sur le climat à la fin de l'année. En réalité, elle s'occupe de la partie européenne et française de la mobilisation de la COP 21, et ça lui va très bien (lire ci-contre). Mais une part de sa spontanéité s'est envolée. Elle se sait écoutée, scrutée, observée : tous voudraient enfoncer un coin entre elle et Hollande, le père de ses quatre enfants, et cherchent donc la petite bête, l'arbitrage qui trahirait le favoritisme ou au contraire la phrase qui mettrait le chef de l'Etat en porte-à-faux. D'où, entre autres, le pas de deux de la ministre de l'Energie sur le nucléaire, la fermeture de Fessenheim ou les ennuis de l'EPR Flamanville. Autant de domaines réservés du Président.