Sur un trajet de train, ce type de couac se situerait entre le déraillement et l'accident de voyageur. Et cumulerait même les deux. Le facteur déclenchant : le 4 janvier, quelques jours après l'annonce d'une hausse du prix des billets SNCF de 2,6% pour 2015, Ségolène Royal s'emporte. Sur RTL, la ministre de l'Ecologie et de l'Energie dit sur un ton outré qu'elle n'est pas «en accord avec cette annonce généralisée d'une augmentation des tarifs de train de 2,6%. C'est en contradiction avec tout», et notamment, poursuit-elle, avec le projet de loi de transition énergétique qui promeut les transports propres sur les transports individuels - qui reviendra en seconde lecture à l'Assemblée nationale le 19 mai.
Stupéfiante. La déclaration de Ségolène Royal peut se défendre : après tout, l'inflation en 2014 s'est située à 0,5%. Le problème, c'est que le ministère avait validé cette décision. Le secrétariat d'Etat aux Transports, dont elle a la tutelle, a publié un communiqué daté du 26 décembre qui détaille la mesure et annonce en contrepartie l'édition d'un million de billets à tarifs réduits (Prem's) supplémentaires. Mieux encore, cette augmentation réclamée par Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, et portée par Alain Vidalies, secrétaire d'Etat aux Transports, avait été validée par Matignon. Cette sortie de Ségolène Royal était d'autant plus stupéfiante. A-t-elle approuvé cette décision trop vite ? Sans s'en apercevoir ? Ou bien se saisissait-elle d'un nouveau cheval de bataille, en réponse à l'inquiétude des associations d'usagers. L'Avuc avait notamment accueilli «avec colère» cette majoration, estimant que «ce sont les voyageurs du quotidien, ceux qui utilisent le train pour aller travailler, qui font les frais de cette augmentation». «C'est un très mauvais signal» envoyé aux Français, avait insisté Royal, ajoutant vouloir «que la SNCF reste un outil de transport de masse».
Quant aux arguments de l'entreprise publique et du secrétariat d'Etat, qui justifient cette hausse par la nécessité de rénover le parc ferroviaire (une «priorité», insiste le communiqué), elle les balaye d'une phrase, taclant Guillaume Pepy. «Je voudrais dire aux entreprises publiques qui pensent, parce qu'elles sont en situation de monopole, qu'elles peuvent s'engager dans des sortes de fuite en avant et considérer qu'elles peuvent augmenter leur chiffre d'affaires uniquement en augmentant de façon automatique les prix demandés aux usagers, ce n'est plus possible», a-t-elle lancé sur RTL.
Le plus amusant, c'est qu'elle laisse entendre dans cet entretien que des décisions ont été prises. «Je peux vous annoncer, tape-t-elle alors du doigt sur la table, que n'augmenteront que les tarifs des billets affaire. Les tarifs des abonnements ou des billets pris longtemps à l'avance n'augmenteront pas.» Mais voilà, cette annonce n'en était pas une. Le 26 décembre, un communiqué de la SNCF précisait bien que les prix ne changeraient pas concernant «les réservations pour les abonnements Forfaits et Etudiants, Elèves et Apprentis, pour les cartes de réduction et pour les billets Prem's».
«Pugilat». Evidemment, Guillaume Pepy et Alain Vidalies goûtent modérément ces déclarations et menacent de rendre leur tablier. «On ne peut pas travailler comme ça», confient-ils à leurs proches. Selon le Canard enchaîné, le dimanche, «Vidalies appelle illico Manuel Valls, qui pique une crise et convoque la fautive pour le lendemain». Selon un «conseiller qui a assisté au pugilat», raconte l'hebdomadaire, «ils se sont expliqués franchement, et la ministre a dû reconnaître que sa déclaration n'était pas pertinente». Après sa convocation, sur le perron de Matignon, Royal apparaît tout sourire et annonce… un million de billets Prem's et la non-augmentation des abonnements. La pilule est avalée.