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Anniversaire

Est-ce bien de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ?

Le droit de vote des femmes ? Pour plusieurs politiques, c’est au général de Gaulle qu’il faut dire «merci». Une vision un peu enjolivée du suffrage féminin, abouti en 1944, qu’on doit d’abord à un député communiste... et à des années de luttes féministes.
En mai 1935, des suffragettes défilaient à Paris pour réclamer le droit de vote. Elles ne pourront voter que 10 ans plus tard. (Photo AFP)
par Marie Kirschen
publié le 29 avril 2015 à 19h21
(mis à jour le 21 avril 2024 à 11h40)

Article de 2015 republié et mis à jour dimanche 21 avril

Il y a 80 ans jour pour jour, les Françaises votaient pour la première fois. Pour célébrer cet anniversaire, plusieurs élus, Renaissance, LR ou RN se sont félicités sur Twitter. «Il y a 80 ans jour pour jour, le général de Gaulle accordait le droit de vote aux femmes malgré la forte opposition des radicaux-socialistes», publie le député RN Alexandre Loubet. Son collègue Renaissance Karl Olive ou le maire PS de Montpellier Michaël Delafosse attribuent au premier président de la Ve les mêmes mérites. L’ancienne ministre Nadine Morano, elle, se fendait de message suivant : «21 avril 1944! Il y a 80 ans… seulement ! Les femmes, après avoir engagé une si longue lutte, obtiennent le droit de vote ! Merci au Général de Gaulle !». Dans un tweet, le Figaro octroie également un rôle primordial à l’homme du 18 juin dans cette conquête.

De Gaulle, nouvelle icône féministe ? Doit-on vraiment réserver toutes nos louanges au général ? Pas vraiment. «Il ne s’agit pas de nier qu’il a joué un rôle puisque c’est bien lui qui signe l’ordonnance du 21 avril 1944 qui instaure le droit de vote des femmes, décryptait en 2015 pour Libé Christine Bard, professeure d’histoire à l’université d’Angers et auteure des Femmes dans la société française au XXe siècle. Mais cette décision n’est pas prise par lui tout seul, mais collégialement par l’assemblée consultative d’Alger, par un vote.»

Le droit de vote aux femmes, une proposition communiste

La proposition d'étendre le droit de vote aux femmes est d'ailleurs avancée par un communiste, Fernand Grenier. Au départ, le texte ne prévoyait que d'instaurer l'éligibilité des Françaises. Fernand Grenier propose d'y ajouter le droit de vote. Cela donnera : «Les femmes sont éligibles et électrices dans les mêmes conditions que les hommes». Le texte est voté par 51 voix contre 16.

Il est donc un peu hâtif de présenter Charles de Gaulle comme le grand instigateur du suffrage féminin. «Il ne faut pas réécrire l’histoire : le droit de vote des femmes n’était pas un sujet particulièrement important pour de Gaulle, continuait Christine Bard. Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle.»

En 1944, le suffrage féminin est presque devenu une obligation : il s’agit pour la France de rattraper son (grand) retard vis-à-vis des autres pays européens. Le Sénat, qui bloquait jusqu’alors toute évolution, n’existe plus. «Il aura fallu ces circonstances très exceptionnelles pour que les Françaises puissent voter. C’est beaucoup plus complexe que l’idée du grand homme qui “accorde” ce droit.»

Conquis social

D'ailleurs, oublions les termes «donner», «accorder» voire «octroyer». «Utiliser ces mots, c'est faire comme si les femmes étaient passives, indifférentes, comme si elles ne l'avaient pas vraiment demandé», s'agace l'universitaire. «C'est un mythe que les Françaises étaient peu investies. Certes, en France, le mouvement a été moins radical qu'en Angleterre, plus respectueux de la légalité. Mais il y a eu un mouvement suffragiste très riche, avec de nombreuses associations, des journaux, des dizaines de milliers de militants. Le problème, c'est l'oubli. On n'a pas valorisé cette histoire dans notre mémoire collective.»

Au sortir de la guerre, c'est la participation des femmes à la résistance qui va jouer comme argument de poids : on ne peut pas refuser des droits politiques à des femmes qui se sont battues contre les nazis. Mais cette raison invisibilise tout un passé de luttes féministes pour le droit de vote. «Dès 1944, on occulte le rôle des suffragistes. On les oublie alors que si les femmes ont gagné le droit de vote, c'est parce que des suffragistes l'ont réclamé pendant des décennies.»

Un état de fait qui progresse malgré tout dans la classe politique, comme en atteste le message de la tête de liste Renaissance pour les européennes Valérie Hayer, qui rappelle sur X : «Il y a 80 ans, les Françaises ont conquis le droit de vote. Hommage à ces femmes qui ont porté l’égalité jusqu’à la politique.»