Article de 2015 republié et mis à jour dimanche 21 avril
Il y a 80 ans jour pour jour, les Françaises votaient pour la première fois. Pour célébrer cet anniversaire, plusieurs élus, Renaissance, LR ou RN se sont félicités sur Twitter. «Il y a 80 ans jour pour jour, le général de Gaulle accordait le droit de vote aux femmes malgré la forte opposition des radicaux-socialistes», publie le député RN Alexandre Loubet. Son collègue Renaissance Karl Olive ou le maire PS de Montpellier Michaël Delafosse attribuent au premier président de la Ve les mêmes mérites. L’ancienne ministre Nadine Morano, elle, se fendait de message suivant : «21 avril 1944! Il y a 80 ans… seulement ! Les femmes, après avoir engagé une si longue lutte, obtiennent le droit de vote ! Merci au Général de Gaulle !». Dans un tweet, le Figaro octroie également un rôle primordial à l’homme du 18 juin dans cette conquête.
Le 21 avril 1944, le droit de vote est accordé aux femmes par le général de Gaulle.
— Le Figaro (@Le_Figaro) April 21, 2024
→https://t.co/weo3eeiOZ5 pic.twitter.com/176fCOeUuO
Il y a 80 ans jour pour jour, le Général de Gaulle accordait le droit de vote aux femmes malgré la forte opposition des radicaux-socialistes. Une grande avancée en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes 🇫🇷 https://t.co/DuGwfZHEXd
— Alexandre Loubet (@AlexandreLoubet) April 21, 2024
🇫🇷🎂👩🦰 Il y a 80 ans, la France adoptait enfin le droit de vote des femmes.
— KARL OLIVE Député (@KARLOLIVE) April 21, 2024
📜Le gouvernement provisoire du Général de Gaulle à Alger accordait enfin ce droit à la moitié de la population française.
👴🏻Huit ans après une première avancée sous le Front Populaire avec des femmes… pic.twitter.com/7Qab40ezJF
21 avril 1944!
— Nadine Morano (@nadine__morano) April 21, 2024
Il y a 80 ans… seulement !
Les femmes, après avoir engagé une si longue lutte,
obtiennent le droit de vote !
Merci au Général de Gaulle ! pic.twitter.com/FApkjragGj
De Gaulle, nouvelle icône féministe ? Doit-on vraiment réserver toutes nos louanges au général ? Pas vraiment. «Il ne s’agit pas de nier qu’il a joué un rôle puisque c’est bien lui qui signe l’ordonnance du 21 avril 1944 qui instaure le droit de vote des femmes, décryptait en 2015 pour Libé Christine Bard, professeure d’histoire à l’université d’Angers et auteure des Femmes dans la société française au XXe siècle. Mais cette décision n’est pas prise par lui tout seul, mais collégialement par l’assemblée consultative d’Alger, par un vote.»
Le droit de vote aux femmes, une proposition communiste
La proposition d'étendre le droit de vote aux femmes est d'ailleurs avancée par un communiste, Fernand Grenier. Au départ, le texte ne prévoyait que d'instaurer l'éligibilité des Françaises. Fernand Grenier propose d'y ajouter le droit de vote. Cela donnera : «Les femmes sont éligibles et électrices dans les mêmes conditions que les hommes». Le texte est voté par 51 voix contre 16.
Il est donc un peu hâtif de présenter Charles de Gaulle comme le grand instigateur du suffrage féminin. «Il ne faut pas réécrire l’histoire : le droit de vote des femmes n’était pas un sujet particulièrement important pour de Gaulle, continuait Christine Bard. Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle.»
En 1944, le suffrage féminin est presque devenu une obligation : il s’agit pour la France de rattraper son (grand) retard vis-à-vis des autres pays européens. Le Sénat, qui bloquait jusqu’alors toute évolution, n’existe plus. «Il aura fallu ces circonstances très exceptionnelles pour que les Françaises puissent voter. C’est beaucoup plus complexe que l’idée du grand homme qui “accorde” ce droit.»
Conquis social
D'ailleurs, oublions les termes «donner», «accorder» voire «octroyer». «Utiliser ces mots, c'est faire comme si les femmes étaient passives, indifférentes, comme si elles ne l'avaient pas vraiment demandé», s'agace l'universitaire. «C'est un mythe que les Françaises étaient peu investies. Certes, en France, le mouvement a été moins radical qu'en Angleterre, plus respectueux de la légalité. Mais il y a eu un mouvement suffragiste très riche, avec de nombreuses associations, des journaux, des dizaines de milliers de militants. Le problème, c'est l'oubli. On n'a pas valorisé cette histoire dans notre mémoire collective.»
Autodéfense
Au sortir de la guerre, c'est la participation des femmes à la résistance qui va jouer comme argument de poids : on ne peut pas refuser des droits politiques à des femmes qui se sont battues contre les nazis. Mais cette raison invisibilise tout un passé de luttes féministes pour le droit de vote. «Dès 1944, on occulte le rôle des suffragistes. On les oublie alors que si les femmes ont gagné le droit de vote, c'est parce que des suffragistes l'ont réclamé pendant des décennies.»
Un état de fait qui progresse malgré tout dans la classe politique, comme en atteste le message de la tête de liste Renaissance pour les européennes Valérie Hayer, qui rappelle sur X : «Il y a 80 ans, les Françaises ont conquis le droit de vote. Hommage à ces femmes qui ont porté l’égalité jusqu’à la politique.»