Dimanche 30 mars, les résultats des élections départementales tombent. La gauche dérouille. Dans la foulée, Jean-Luc Mélenchon lance un appel devant les caméras et quelques militants du Front de gauche : «Offrons à notre peuple une nouvelle alliance populaire, crédible, indépendante de ce gouvernement avec lequel rien n'est possible. Une alliance visible, proposant le même sigle dans tout le pays pour que chacun puisse l'identifier. Une alliance clairement ancrée avec les partis et personnalités de l'opposition de gauche, avec des assemblées citoyennes ouvertes à tous.» Depuis la victoire de Syriza en Grèce ou l'apparition de Podemos en Espagne, l'idée d'un nouveau mouvement à gauche pour renverser la table trotte dans les têtes de Cécile Duflot, Pierre Laurent, Clémentine Autain ou Jean-Luc Mélenchon. Après le dernier scrutin, les rencontres se sont multipliées entre les écologistes, le Parti de gauche, le PCF et des représentants de l'aile gauche du PS pour tâter le terrain. En vain.
Base. Les raisons du blocage, alors que le mot «alternative» est dans toutes les bouches, sont multiples. D'un côté, EE-LV se bagarre en interne : la base penche vers la gauche radicale tandis que de nombreux parlementaires rêvent d'un retour au gouvernement. De l'autre, les communistes pointent le calendrier électoral peu favorable. «A peine sortis des départementales, on prépare les régionales et après on sera directement dans la présidentielle. Du coup il est compliqué de s'organiser, de s'entendre», explique leur porte-parole, Olivier Dartigolles. D'autant plus que du côté du PCF, la question des alliances, au premier ou au second tour, avec le PS aux régionales de décembre pour garder un maximum d'élus, va de nouveau se poser. Au grand dam d'un Mélenchon qui demande à tous de «se tenir à distance» de ce qui est rose. Ce qui n'arrange pas tout le monde. Du coup, lorsque l'on coupe les micros, un certain nombre de dirigeants à gauche pointent un obstacle de taille : Mélenchon. Ils racontent les difficultés à travailler avec l'ancien candidat de 2012. Un dirigeant EE-LV : «Renseignez-vous au Front de gauche, demandez aux communistes : travailler avec lui constitue un vrai supplice. Il a certes un vrai talent pour parler aux Français et on ne peut pas construire des projets sans lui pour le moment. En fait, tout va bien tant que tout tourne autour de sa personne.»
«Propagande». Ils déplorent également ses dernières sorties. Début mars, le leader du Front de gauche prend la défense de Vladimir Poutine et dénonce la «propagande antirusse» déployée selon lui «à partir du meurtre de Boris Nemtsov». Ses alliés s'arrachent les cheveux. Certains publiquement, comme Clémentine Autain dans Libération : «Aujourd'hui la parole du Front de gauche est associée à Jean-Luc Mélenchon parce qu'il a été notre candidat lors de la présidentielle. Or, sur ce sujet, des désaccords existent. Ne soyons pas naïfs sur Poutine. Le président russe et son entourage préfèrent la violence à la démocratie. Ils ont noué des liens étroits avec les réseaux d'extrême droite en Europe.» Le député européen vient de remettre le couvercle avec la sortie de son nouveau bouquin, le Hareng de Bismarck (Plon). Avec ce pamphlet sur «le poison allemand», Mélenchon irrite une nouvelle fois ses camarades.
Personne n'a, pour autant, envie d'insulter l'avenir. Jean-Luc Mélenchon est une figure forte qui squatte les médias et détient un argument de poids : ses 11,11% obtenus au premier tour dans la course à l'Elysée en 2012. Du coup, le discours varie (selon que l'on est en off ou en on). Un cadre du Front de gauche : «La question n'est pas de savoir qui sera à la tête du mouvement mais comment créer un mouvement qui rassemble toutes les forces de gauche en contradiction avec la politique du gouvernement et combattre le Front national. A propos de Mélenchon il n y a pas de doute, on a besoin de lui.» La même personne lorsque le micro s'éteint : «Déjà, sa sortie sur Poutine était limite mais aujourd'hui avec son livre contre l'Allemagne il part complètement en vrille, c'est incompréhensible alors qu'il est ultra-intelligent, peut-être le plus intelligent de tous. Avec ses sorties il fait peur à ceux qui veulent nous rejoindre.» Même malaise chez les écologistes : «Le Che Guevara des plaines qui passe son temps à insulter tout le monde, y'a rien à faire… Mais c'est pas grave, notre rassemblement se fera quand même et il sera avec nous.»
Cible. La semaine passée, la patronne des Verts, Emmanuelle Cosse, est sortie du bois dans le JDD : «A cause de ses prises de position très rudes, la question de l'alliance avec Mélenchon ne me semble plus d'actualité. J'ai du mal avec quelqu'un qui traite Dany [Cohn-Bendit, ndlr] de dégénéré.» A deux ans de l'élection présidentielle, au Parti socialiste, on guette avec attention l'évolution de l'autre gauche. Une multitude de candidats face à François Hollande en 2017 ne seraient pas les bienvenus.
Une seule candidature qui fédérerait toutes les autres forces de gauche non plus. Marie-Noëlle Lienemann, ancienne camarade de Mélenchon lorsqu'il était animateur de l'aile gauche du PS commente : «Changer de cible - Merkel plutôt que Hollande -, ce n'est pas idiot, il a une intuition : l'affrontement entre nations est de retour. Là où je ne suis pas d'accord, c'est que cette thèse-là n'aboutit pas à un renforcement de la gauche. Vous verrez, il joue le nationaliste aujourd'hui et au moment de la campagne, il trouvera autre chose.» La sénatrice PS ajoute : «Ne croyez pas que Mélenchon est mort. Il est à 9,5% dans les sondages. Ses alliés n'auront pas d'autre choix que de le prendre comme candidat.» Reste à savoir qui seront ses «alliés». On aurait aimé lui poser la question mais Jean-Luc Mélenchon refuse toujours de répondre à Libération.