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Décryptage

Congrès PS : le temps des motions

Les militants socialistes vont devoir choisir ce jeudi parmi quatre textes celui censé définir l’orientation de leur parti.
Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 20 mai 2015 à 19h56

Des congrès comme celui-ci, les socialistes n’en ont pas connu beaucoup. Etre au pouvoir et renouveler leur direction, ils ont expérimenté ça sept fois. Mais à une seule reprise, en 1990 à Rennes, ça s’est mal passé : Lionel Jospin et Laurent Fabius se déchirant pour l’héritage de Mitterrand. Vu le contexte - défaites électorales, déception militante, «fronde» parlementaire -, celui qui s’annonce à Poitiers (5 au 7 juin) aurait pu y ressembler. Sauf que les règles internes ont changé et que les grandes baronnies socialistes - même abîmées par la perte de villes et de départements - sont déjà rassemblées, de Martine Aubry à Manuel Valls, autour du premier secrétaire sortant, Jean-Christophe Cambadélis.

Aile. Ce jeudi, ce 77e congrès socialiste débute donc par le vote des adhérents - 131 000 revendiqués - sur les textes d'orientation. En langage PS, on appelle ça des «motions». Cambadélis et son «Renouveau socialiste» en ont trois face à lui (lire ci-contre). Celle d'une aile gauche reconstituée et rejointe par d'ex-soutiens d'Aubry en rupture avec la politique économique du gouvernement. Chef de file de ce nouveau courant autobaptisé «A gauche pour gagner», Christian Paul, député de la Nièvre et étiqueté «frondeur». Là aussi, sauf surprise, c'est lui qu'on retrouvera le 28 mai pour un second vote des militants devant départager les premiers signataires des deux motions arrivées en tête pour savoir qui dirigera le PS. Derrière Cambadélis et Paul, la députée des Hautes-Alpes Karine Berger et sa «Fabrique socialiste» pourraient convaincre des militants sensibles au «ni frondeur ni suiveur». Enfin, la minimotion dite «militante» de Florence Augier devrait récolter quelques centaines de voix. Seule inconnue, la participation. La direction du PS pronostique «70 000 votants» - comme pour le dernier congrès de Toulouse. Toutes les motions s'entendent là-dessus : plus ça votera, plus la majorité pour Cambadélis sera importante.

Après. Mais là où l'aile gauche comptait sur Poitiers pour pousser leur parti à la «clarification» sur l'orientation, on aura droit, depuis le ralliement d'Aubry à Cambadélis, à une simple bataille de position. «Ce congrès ne sert pas à grand-chose, soupire une ministre. Chacun se place pour le partage du pouvoir.» Que Hollande gagne ou perde en 2017, les responsables socialistes de toutes sensibilités pensent déjà à l'après. Pas question donc de perdre sa place dans sa fédération ou le nombre de ses représentants au conseil national (Parlement du PS). Ce sera toujours ça de gagné pour ceux - les plus libéraux - voulant «en finir avec le parti d'Epinay». Ou ceux, les plus à gauche, se préparant, en cas de défaite, à une offensive pour prendre un appareil qu'un seul des leurs - Henri Emmanuelli - a dirigé. C'était entre 1994 et 1997.

Christian Paul, le challenger «frondeur» annoncé

On ne l'attendait pas dans ce rôle. Mais puisque les deux tenants de l'aile gauche, Benoît Hamon et Emmanuel Maurel se sont neutralisés, les sensibilités socialistes critiques à l'égard de la politique économique du gouvernement ont choisi Christian Paul, 55 ans, pour prolonger la «fronde» parlementaire en opposition interne au PS.

Son ambition. Obliger le gouvernement à être plus à gauche… et à prendre en compte ce que décide le PS. Aubryste après avoir été proche d'Arnaud Montebourg, cet ancien secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer sous Jospin (2000-2002) émet des doutes depuis le début du quinquennat sur des thématiques portées par François Hollande durant sa campagne : loi bancaire, réforme fiscale, aides aux entreprises sans contreparties… Il dit vouloir aujourd'hui empêcher que «le libéralisme économique, pensée liquide, infuse le PS». Il rêve de rassembler, pour le second tour, une alliance de toutes les autres motions contre la candidature de Cambadélis. Compliqué.

Sa campagne. Arriver dans ce congrès avec l'étiquette de «frondeur» aurait pu être un atout. En fait non : «Les militants ont envie que ça marche, très peu souhaitent que l'on échoue», rappelle un membre du gouvernement. Pour contrer la critique du «diviseur», Paul n'a cessé de lancer aux militants croisés en assemblées générales que «l'unité» du PS n'était «pas menacée». Il a même tenté de retourner l'accusation de frondeur aux sénateurs PS qui ont voté contre le non-cumul ou ces «ministres de Bercy [qui] désavouent tous les matins la motion qu'ils ont signée avec le premier d'entre eux». Chez Cambadélis, on en rigole : «C'est ça… Mais s'il y avait une primaire, ils seraient contre Hollande…»

Son pronostic. S'il sait qu'il n'a aucune chance de diriger le PS, Paul aimerait voir la motion Cambadélis privée de majorité pour l'obliger à tenir compte de leurs positions dans les futures décisions du PS. Pour ça, il doit impérativement faire mieux que 35%. A condition, prévient son camp, que les urnes socialistes ne soient pas gonflées.

Jean-Christophe Cambadélis, à la recherche d’une légitimité militante

Il va enfin être élu par les militants. En 2012, Jean-Christophe Cambadélis avait vu les grandes figures socialistes - dont François Hollande - lui préférer Harlem Désir. Erreur de casting : deux ans plus tard, le député de Paris change de bureau à Solférino, mais sans légitimité militante. Sauf surprise, ce sera fait le 28 mai, avant un discours à Poitiers en guise de sommet de carrière.

Son ambition. Cambadélis veut marquer l'histoire du PS. Jamais ministre, architecte de la gauche plurielle sous Jospin et formé à la rude école lambertiste chez les trotskistes, le député de Paris, 63 ans, a toujours eu comme objectif de diriger les socialistes. Avec ce congrès, il veut, souligne l'un de ses lieutenants, Christophe Borgel, permettre sa propre «clarification», «celle du rapport du PS à l'exercice du pouvoir». Pour 2017, l'appareil doit se transformer en machine à faire gagner Hollande. Quitte à muter. «Le parti est à la fin du cycle d'Epinay, insiste un ministre. Il y a encore pas mal d'impensés au PS, sur l'économie ou l'Europe…» Et s'il a refusé de suivre Manuel Valls sur le changement de nom ou l'aggiornamento «social-libéral», ce n'est pas un hasard s'il a inscrit dans sa motion l'idée d'un «dépassement» du PS, et parle de «progressisme». De quoi faire craindre à certains au PS qu'il abandonnera à terme le mot «socialisme».

Sa campagne. On ne l'a pas beaucoup vu. Son challenger Christian Paul l'a taxé de «candidat invisible». Et lorsqu'il venait devant les militants pour défendre sa motion, la presse était priée de rester dehors. «Il s'est planqué parce qu'il n'a pas confiance en lui», critique un soutien de Paul. Son entourage répond que les militants perçoivent en lui la garantie de l'unité. «On le voit dans les Fêtes de la rose, les socialistes sont obsédés par le fait qu'on ne se tape pas dessus», rapporte un proche.

Son pronostic. Son camp joue à se faire peur. Sa motion réussit la prouesse de réunir Aubry et Valls et, pourtant, son entourage laisse entendre qu'il pourrait, en cas de faible participation, ne pas atteindre la majorité. A l'arrivée, le texte de Cambadélis devrait sortir largement en tête du vote de jeudi. Sous les 55%, ce serait un mauvais score.

Florence Augier, la discrète

Cette fois-ci, elle a une motion à elle. A Toulouse, en 2012, Florence Augier était avec Pierre Larrouturou - parti depuis fonder Nouvelle Donne - dans une motion portée par Stéphane Hessel. Depuis, elle a gardé les schémas de Larrouturou et se pose en défense des «militants».

Son ambition. Porter la voix des sans-voix du PS. Conseillère à Pôle Emploi et secrétaire nationale du PS chargée de la «vie associative», Augier milite pour «plus de démocratie» au sein de son parti. Un créneau toujours porteur.

Sa campagne. Difficile de passer dans toutes les fédérations quand on est une toute petite motion. Beaucoup de militants PS n'ont vu aucun représentant de sa motion dans leur section. Mais pour grappiller quelques centaines de voix non alignées, Augier a appelé Christian Paul et Karine Berger à «un peu de modestie», rappelant que, elle, «ne se bat pas pour des postes de ministre ou d'élue».

Son pronostic. Défaut de notoriété et difficultés de mobilisation… La motion Augier devrait capter à peine quelques centaines de voix.

Karine Berger, une «Fabrique» en forme d’entre-deux

Dans un tel congrès, le rôle du troisième, endossé cette année par Karine Berger, est toujours un bon plan. Lorsqu’elle a créé à l’Assemblée son collectif «Cohérence socialiste», on avait déjà compris que la députée (Hautes-Alpes) s’embringuerait dans ce congrès.

Son ambition. Etre la surprise de ce congrès. Avec sa «Fabrique socialiste», la députée des Hautes-Alpes a tenté de sortir du scénario «pour ou contre» le gouvernement et jouer la carte «militants». Position classique pour les mémoires socialistes : en 2008, Ségolène Royal avait occupé ce rôle ; en 2012, Pierre Larrouturou, avec le soutien de Stéphane Hessel, était arrivé à 11%. Que veut Berger ? Puisqu'elle est déjà secrétaire nationale du parti à l'économie, les mauvaises langues disent qu'elle va «dealer» son soutien à Cambadélis en échange d'un poste ministériel. Elle réfute. «Dans sa motion, ils ne racontent pas tous la même chose», souligne un soutien de Christian Paul. Manière de dire que sa «Fabrique» risque de connaître quelques dissonances dans l'entre-deux tours de ce congrès.

Sa campagne. Berger écume depuis plusieurs mois les fédérations PS. Ex-proche de Pierre Moscovici, cette énarque et polytechnicienne a attaqué ses prises de parole par une anecdote rapportée de sa campagne départementale. Un homme la «prenant par le bras» et lui montrant la température à l'intérieur de son logement («14 degrés») et son frigo «vide». «C'est démago… balance un proche de Cambadélis. Ce n'est pas le passage de son discours le plus apprécié.» Berger a plus de succès lorsqu'elle en vient à quelques-unes de ses «86 propositions», dont une «TVA à 5%» pour l'économie sociale et solidaire ou «un service public des maisons de retraites».

Son pronostic. A plus de 10%, Berger et sa motion auront réussi un bon score. D'autant plus si Cambadélis a besoin d'elle pour boucler une majorité. Selon les socialistes, «elle va faire plus». D'autres y voient une motion «surcôtée», avec de l'écho seulement «dans les centres-villes».