Jean-Christophe Cambadélis ouvre les portes de son bureau à Solférino, le QG du Parti socialiste. Quelques jours après la victoire de la motion A, avec un score de 60%, le député a la banane. Il se félicite de voir les frondeurs un genou à terre et fait dans l'humour : «Au-delà des pétales de fleurs que je reçois ici et là, certains trouvent que le score est trop fort.» Le premier secrétaire du PS, qui devait être réélu sans surprise à son poste jeudi soir, cause à l'envi de la campagne, de ses adversaires et du congrès de Poitiers du 5 au 7 juin. Il décrit ses objectifs : «Reconquérir les Français, et faire du PS un parti de masse pour sortir de l'entre-soi.» Il ajoute : «J'ai en tête une organisation et une nouvelle manière de faire de la politique, mais j'expliquerai le tout aux adhérents et aux militants à Poitiers.» Il se fixe même un objectif fou : atteindre les 500 000 adhérents. Alors que le parti en compte «seulement» 130 000 aujourd'hui. L'espoir fait vivre.
Les fonctions varient selon les hommes. Certains rêvent de l’Elysée, d’autres d’un ministère. Jean-Christophe Cambadélis, lui, a toujours visé la rue de Solférino. Tout au long de sa carrière, il a parié sur différents challengers (Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry) pour atteindre son but. L’attente a été longue, parfois douloureuse ou ralentie par la justice : le 28 janvier 2000, «Camba» est condamné à cinq mois de prison avec sursis et 100 000 francs d’amende pour emploi fictif dans l’affaire de la Mnef. L’homme des missions difficiles, mais aussi l’initiateur de la gauche plurielle, l’interlocuteur du Parti communiste et des Verts, pose un genou à terre avant de repartir vers sa destinée.
Avec lui, on a remonté le temps. De son entrée au Parti socialiste en 1986 à aujourd’hui. Installé dans son fauteuil en cuir, il raconte son parcours avec une touche de dramaturgie. Il scénarise ses rencontres, ses désillusions, ses échecs, la chute de Strauss-Kahn et son accession à la tête du PS.
1986: «Quand la porte s’ouvre, il faut rentrer»
Jean-Christophe Cambadélis pose la première pierre de sa carrière politique en 1980. Membre de l'OCI (Organisation communiste internationaliste), il est élu, à 29 ans, président du plus gros syndicat étudiant de l'Hexagone, l'Unef-ID. Son nom circule, François Mitterrand le reçoit avec ses camarades à Solférino quelques mois avant l'élection présidentielle de 1981. Le futur chef de l'Etat confie à ses invités : «On se ressemble, comme moi vous avez battu les communistes et l'extrême gauche.»
La France découvre le visage de Jean-Christophe Cambadélis le 10 mai 1981, quand il prend la parole, place de la Bastille, au soir de la victoire de Mitterrand. A cette date, il n’est pas encore membre du Parti socialiste.
Le trotskiste lambertiste ne quittera le mouvement étudiant qu'en 1984, et l'OCI en 1986. «C'était la fin d'une époque.» Dans la foulée, il adhère au Parti socialiste en 1986 avec 400 potes de l'OCI, après une discussion avec Lionel Jospin et Bertrand Delanoë. Sur le conseil de François Mitterrand, il intègre le courant majoritaire du parti, se range derrière Jospin et entre au comité directeur. Une ascension fulgurante. Jean-Christophe Cambadélis se remémore une phrase «délicieuse» de Mitterrand : «Vous savez, lorsque la porte s'ouvre, il faut rentrer, parce que laisser sa place à quelqu'un d'autre…»
A cette période, le PS était «impressionnant par le nombre de ses militants, et surtout par ses personnalités», dit-il. Il cite Pierre Joxe, Laurent Fabius, Pierre Mauroy, Jean-Pierre Chevènement.
Lorsqu'on l'interroge sur ses objectifs à l'époque, Jean-Christophe Cambadélis la joue modeste : «Je n'avais aucune ambition individuelle, mon seul objectif ? Que la gauche reste au pouvoir.»
Mais, en 1988, lorsque Mitterrand est réélu, le jeune loup, déjà roublard et fin tacticien, élimine avec le soutien de l'Elysée, Alain Billon, le député socialiste élu en 1981, et devient député de Paris, dans le XIXe arrondissement. Le premier mandat en poche, Cambadélis pose la deuxième pierre de sa carrière politique qui démarre en trombe.
1997 : Hollande préféré par Jospin pour Solférino
Printemps 1995 : la parenthèse enchantée prend fin. François Mitterrand quitte l’Elysée après quatorze ans de pouvoir, tandis que Lionel Jospin perd l’élection présidentielle contre Jacques Chirac. Rue de Solférino, l’heure est au bilan. Plusieurs parlementaires socialistes délaissent leur ancien candidat pour se ranger derrière Henri Emmanuelli. Jean-Christophe Cambadélis, lui, ne moufte pas. Dans les mois qui suivent, il tire quelques ficelles avec, entre autres, Dominique Strauss-Kahn et Pierre Moscovici pour maintenir le premier secrétaire la tête hors de l’eau. Pari gagné.
Lorsque, contre toute attente, Jacques Chirac dissout l'Assemblée nationale au printemps 1997, la gauche revient au pouvoir et Lionel Jospin s'installe à Matignon. Jean-Christophe Cambadélis est en joie. Il se voit déjà diriger le Parti socialiste. Le sort en décide autrement. Lors du bureau national, Lionel Jospin désigne François Hollande. «Dès que j'apprends la nouvelle, je me lève, je quitte la salle, et quelques proches me courent après pour me retenir», se souvient Cambadélis, qui est nommé peu après numéro 2 du parti.
Quelques jours plus tard, Jean-Christophe Cambadélis et François Hollande se retrouvent rue de Vaugirard (Paris, XVe) dans les bureaux de Lionel Jospin. Il raconte la suite : «Dans un petit bureau, il y avait des fleurs partout, les restes de la victoire. François Hollande pousse toutes les fleurs pour qu'on puisse s'installer et me dit : «Je ne voulais pas de ce poste et toi tu espérais un autre poste, mais il va falloir qu'on travaille ensemble.» C'était une manière assez habile de me faire passer la pilule.» La déception ne s'arrête pas là. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, et Claude Bartolone, député de Seine-Saint-Denis, proposent à Lionel Jospin de le nommer chef du groupe PS à l'Assemblée. Le Premier ministre le convoque dans son bureau pour lui annoncer que Jean-Marc Ayrault sera le patron socialiste à l'Assemblée. Lorsqu'il lui demande les raisons de son choix, le Premier ministre lui confie : «Au moment où je m'installe, je ne me voyais pas guerroyer pour t'imposer.»
2011 : le boulet du Sofitel pour le bras droit de DSK
Mai 2011, New York. Dominique Strauss-Kahn est accusé de viol sur une femme de chambre dans la suite d'un grand hôtel. Il est interpellé à l'aéroport avant d'être interrogé puis placé en détention. A Paris, il fait encore nuit. Le matin, très tôt, Jean-Christophe Cambadélis est réveillé par sa femme, qui lui lâche : «T'es au courant pour Dominique ? Il est accusé de viol à New York.» Jean-Christophe Cambadélis ne bouge pas. «Je pensais qu'elle me disait ça pour que je me lève, parce que j'avais un peu de mal à me mettre debout», explique-t-il en se marrant. Quelques minutes plus tard, il jette un coup d'œil à son téléphone. La messagerie est pleine. Les textos se multiplient. Il allume la télé et reste «pétrifié». Tout s'effondre.
Dominique Strauss-Kahn était le grand favori pour remporter la primaire socialiste, et Jean-Christophe Cambadélis, un de ses lieutenants. Il voyait déjà «DSK» à l'Elysée et lui-même à Solférino. Il lâche, avec une touche de regret : «Je lui avais consacré beaucoup de temps, on était à deux doigts de remporter le morceau.» Après la nouvelle, Jean-Christophe Cambadélis échange au téléphone avec plusieurs cadres du parti. L'heure est grave. Martine Aubry, première secrétaire, organise un bureau national extraordinaire. Il décrit la scène : «Tout le monde était présent ce jour-là. Laurent Fabius a pris la parole pour décrire la prison de New York, tout le monde était terrifié. Henri Emmanuelli pensait que cette affaire pouvait pousser Dominique au suicide, pendant que Martine Aubry était dans l'émotion. François Hollande, un peu hésitant, s'est tout de suite situé dans l'après ; il a demandé à ne pas changer les procédures et le calendrier. Et, lorsque j'ai observé l'attitude des présents à son égard, j'ai compris que ça serait lui le vainqueur.» Jean-Christophe Cambadélis, qui n'a jamais été un proche de François Hollande, se range derrière Martine Aubry, qui s'incline : la rue de Solférino s'éloigne une nouvelle fois.
Lors de la reprise de contact téléphonique entre DSK et Cambadélis après l'affaire, les premières paroles ne sont pas très «amicales», confie-t-il.
2012 : Désir l’emporte avec la «bande des quatre»
Un an après «l’affaire DSK», François Hollande, l’ex-premier secrétaire du PS, est élu président de la République. Alors que les éléphants ferraillent pour décrocher un ministère, Jean-Christophe Cambadélis lorgne une nouvelle fois vers Solférino. Il mène campagne. Face à lui, Harlem Désir. Le match est serré. Jean-Christophe Cambadélis a le soutien de Martine Aubry et de Jean-Marc Ayrault. L’ancien dirigeant de SOS Racisme a de son côté la «bande des quatre» ministres importants du gouvernement : Manuel Valls, Pierre Moscovici, Vincent Peillon et Stéphane Le Foll.
Le 12 septembre 2012, Harlem Désir est désigné premier signataire de la motion majoritaire pour le congrès de Toulouse. Nouvel échec pour Cambadélis. Il reste tout de même en charge de l'international à Solférino. Les mois passent, le PS est en crise, et la rue de Solférino n'est pas très sereine, selon Cambadélis. Il détaille : «Harlem, c'est un perfectionniste, tant qu'il n'a pas tout dans le détail, il est terrorisé. A Solférino, il s'appuyait sur moi ou Bachelay pour les réponses. Il y avait un vrai problème.» Mars 2014, le PS se prend une rouste lors du premier tour des élections municipales. Harlem Désir convoque Jean-Christophe Cambadélis, qui n'a jamais été tendre avec lui : Désir jette l'éponge. «Je lui demande de pas en parler avant les résultats du second tour», se souvient Cambadélis.
Les résultats tombent, le PS a un genou à terre et Désir est exfiltré au gouvernement. On lui confie les Affaires européennes. La porte de Solférino s'ouvre une nouvelle fois. Cambadélis se pointe à l'Elysée pour annoncer sa candidature à François Hollande. Le Président pense à Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, au député Guillaume Bachelay, avant de donner son feu vert. Cambadélis explique avec humour : «François ne voulait pas me voir dans l'opposition.» Le 15 avril 2014, après des années d'échec, Jean-Christophe Cambadélis atteint son objectif. Il est élu avec 67% des voix par le conseil national, mais il a déjà en tête l'objectif de se faire élire par les adhérents du PS et sacré au congrès de Poitiers.