Les queues de lotte sont en train de frire dans la poêle géante et la fanfare locale, les Pistons de l'Arba, a dégainé ses cuivres. Ce lundi de Pentecôte, c'est jour de fête au Pontet. Place Joseph-Thomas, les stands foutraques du vide-grenier ont remplacé les voitures. Pour une fois, la petite ville de la banlieue avignonnaise intéresse les foules voisines venues chiner au soleil. Pour les appâter, Denis a étalé quelques médailles militaires et des jouets. Avec son tee-shirt à l'effigie du Che, il ne passe pas inaperçu. «Forcément, ici, ça ne court pas les rues !» se marre-t-il.
Dans la commune de 17 000 habitants, l’idole locale se positionne plutôt à l’extrême droite de l’échiquier : Joris Hébrard, jeune kinésithérapeute du cru, a par deux fois séduit une majorité de Pontétiens en se présentant aux élections sous les couleurs du Rassemblement bleu Marine. La dernière fois, c’était lors des départementales de mars. Son binôme l’a emporté au premier tour avec 53% des voix dans le canton, grimpant jusqu’à 58% dans la commune du Pontet. Une victoire par KO qui sonnait comme une revanche : le 25 février, le Conseil d’Etat avait annulé l’élection municipale remportée par le frontiste un an auparavant, pour des signatures litigieuses sur les listes d’émargement.
«Choc». Depuis, une délégation spéciale gère les affaires courantes en attendant le nouveau scrutin, programmé ce dimanche. Joris Hébrard, candidat à sa succession, part favori. «Je ne peux pas y croire, souffle Denis. Son élection, l'an dernier, a été plus qu'un choc. Personne ne l'a vu venir.» Car au Pontet, c'est la droite classique qui joue les premiers rôles. Un ronron perturbé dès 2013 lorsque l'UMP Alain Cortade, maire depuis vingt ans, décide de quitter son siège quatre mois avant les municipales, laissant ses troupes se disputer sa succession. Ces querelles de pouvoirs achèvent d'écœurer une population déjà sonnée par une situation économique moribonde.
Les grandes industries comme la SEPR (Saint-Gobain) sont parties depuis longtemps. Le long du Rhône, la zone portuaire est désertée. Seules rescapées d’un glorieux passé, l’usine Liebig et la vaste zone commerciale, au nord de la ville, ne parviennent plus à faire illusion. Le Pontet, jadis prisés par les Avignonnais en quête de loyers accessibles, a perdu de son attractivité. Dans le centre, les commerces ont fermé les uns après les autres et les immeubles murés se multiplient. La morosité gagne jusqu’aux équipes sportives, fiertés locales, à la peine. La boulimie d’équipements sportifs - jusqu’à un boulodrome chauffé ! - a d’ailleurs largement contribué à faire flamber la dette municipale, qui s’élève à 38 millions d’euros.
«Menace». En mars 2013, ce cocktail déprimant fait les affaires de Joris Hébrard. Paradoxalement, le manque d'expérience du candidat Bleu Marine va lui profiter. «Le FN apparaît comme un parti révolutionnaire, neuf, pointe Christelle Marchand, universitaire à Avignon qui travaille sur les électeurs frontistes du Vaucluse. La menace idéologique, les gens ne la voient pas. D'ailleurs, quand on les interroge sur les programmes, il n'y a plus rien.» Ces programmes eux-mêmes évitent les propositions trop ouvertement polémiques. «Il y a une vraie prise de conscience de l'échec de Mégret à Vitrolles en 95 et de la politique de préférence municipale, analyse Christelle Marchand. L'idée, c'est une gestion "bon père de famille" façon Bompard, le maire d'Orange.»
Au Pontet, en presqu'un an d'exercice, le Front a misé sur ses fondamentaux : la police municipale a été renforcée et ses plages horaires allongées. La ville est classée en ZSP (zone de sécurité prioritaire), mais la situation n'en méritait pas tant, selon Béatrice Lecoq, qui fut maire par intérim après la démission d'Alain Cortade. «Ils ont même donné aux policiers des matraques et des gilets pare-balles… C'est facile de créer un sentiment d'insécurité. Sûr qu'en communication, ils sont très fort !» Ajoutez à cela quelques rassemblements populaires et laissez le charme agir. «Monsieur Hébrard a rétabli le marché de Noël. Ça a drainé 3 000 personnes. Les gens en parlent encore !» relève Olivier Allary, en charge de la communication à la mairie. L'employé municipal, qui officiait avant l'arrivée du Front national, n'a pas songé à démissionner. «Ça ne me dérange pas, je ne fais pas de politique. Et les sujets polémiques passent directement par le cabinet.» Cette banalisation du FN a largement dépassé les murs de l'hôtel de ville.
«La phrase qui revient le plus dans la bouche des gens, c'est : "Au moins, on a un beau maire." Ça en dit long…» déplore Béatrice Lecoq. L'ancienne maire, retirée du jeu politique, soutient un des candidats en lice dimanche : Jean-Firmin Bardisa, ex-directeur des services techniques à la mairie, mène une liste d'union «100% Le Pontet» regroupant des socialistes, des gens de droite et du centre. L'UMP envoie aussi une candidate, Caroline Joly. Les deux listes n'ont pas réussi à s'entendre, augmentant encore les chances de victoire du Front national. Joris Hébrard espère même les battre dès le premier tour : «Ça tomberait bien, relève-t-il. Dimanche, c'est mon anniversaire !»