Jean-Luc Mélenchon, responsable de la déroute et de l'atomisation de la gauche ? Alexis Corbière, du Parti de gauche, répond au dirigeant socialiste Henri Weber qui avait étrillé récemment, dans une tribune publiée par Libération, l'auteur du «Hareng de Bismarck». Jeunes contre vieux «révolutionnaires» ?
Un spectre hante l'Europe sociale-libérale : le spectre des succès de Syriza, Podemos et ceux qui veulent s'en inspirer. Toutes les puissances de cette vieille Europe se sont unies pour traquer tout germe de contagion. C'est pourquoi, en France, le dirigeant PS Henri Weber a publié, dans Libération du 25 mai, une tribune fielleuse contre Jean-Luc Mélenchon. Après tant d'autres, c'est presque monotone. Allons à l'essentiel. Que nous dit Weber en conclusion de ses ergotages ? Que Mélenchon «souhaite sincèrement détruire le PS […]. Mais il est plus doué pour la destruction que pour la construction». Qui dira ceci à Weber : quel que soit notre souhait collectif ou individuel, le PS se détruit très bien tout seul, comme un grand, sans l'aide de personne. Comment Weber, «chargé des questions européennes», pourrait-il l'ignorer ? Aux dernières élections européennes, de juin 2014, les listes PS, qu'il soutenait activement, ont obtenu les suffrages de seulement 5,6% des électeurs inscrits ! Près de 95% d'entre eux n'ont pas voté pour le PS, qui concentrait pourtant tous les pouvoirs politiques, du département jusqu'au sommet de l'Etat. Un rejet constant depuis 2012 du bilan de MM. Hollande et Valls. Peut-être aussi, sait-on jamais, de celui des dix ans de Weber à Strasbourg siégeant dans un groupe «socialiste» dont la moitié des membres gouvernent leur pays avec la droite comme est cogéré le Parlement européen lui-même.
D’une telle débâcle, quelle explication ? «Mélenchon !» nous dit Weber. Mais Mélenchon et les siens ont mieux à faire qu’à détruire les ruines du PS. Ils ont permis l’émergence d’une force politique nouvelle depuis 2009. En attestent les 11% des suffrages rassemblés il y a trois ans, soit 4 millions de voix. Qu’importe à Weber cette masse restée rassemblée comme l’attestent, avec régularité, les enquêtes d’opinion pour 2017. Qu’importe le renouveau de la doctrine écosocialiste qu’incarne l’homme du 18 mars 2012, retour sur la place de la Bastille, de cette gauche des catacombes qui s’était perdue de vue et se retrouvait. Tant de hargne interroge.
Pourquoi ça, pourquoi Weber ? Il est un des symboles d’une génération dont la dégénérescence politique est un des nombreux obstacles qui bloquent la recomposition du courant populaire progressiste en France. Leur bonne insertion dans les mondanités du système médiatique les rend spécialement encombrants. Comment faire un pas sans tomber sur leur pouvoir de nuisance ? Leur titre de gloire, la source de leur autorité : ils sont les grands-pères de la fameuse révolution de 1968, celle où 10 millions de travailleurs en grève sombrent dans l’anonymat derrière un monôme d’étudiants que ces messieurs sont censés incarner. Des héros très fatigués. Nés dans l’action révolutionnaire, de la LCR pour Weber, de l’anarchisme pour Cohn-Bendit, du maoïsme pour July et quelques autres, ces hommes et quelques femmes ont banalement renié leur jeunesse.
Giono disait : il faut avoir été anarchiste à 20 ans pour avoir encore assez d’altruisme à 30 et s’enrôler sapeur-pompier volontaire. On découvre que cela vaut pour les pompiers du système. Ceux-là font du zèle. On se tromperait en croyant qu’ils défendent tout simplement leur confort matériel, comme tant de baby-boomeurs rangés de voitures. Non. Eternels adolescents, ils n’en finissent plus de renâcler contre leur surmoi révolutionnaire. Il prend la figure fantasmée de Jean-Luc Mélenchon. Un prétexte. Pour que Weber soit en paix avec sa conscience, il faut coûte que coûte que notre entreprise échoue. Rien de grand, rien de neuf ne doit émerger à gauche. Podemos ? Syriza ? Impossible chez nous, nous dit l’expert ! C’est là le caractère le plus malsain de la démarche de nos anciens.
Si c'est lui qui se colle au bashing contre Mélenchon, après avoir déjà pourri Besancenot, c'est que, fatigué, blasé, et revenu de tout, il veut encore monnayer les cendres de la braise éteinte : «Ta Révolution, gamin, cela ne peut pas marcher. J'ai essayé, crois-moi, on peut pas y arriver ! Et puis, tes chefs sont mauvais, agressifs, louches, etc.» Banal remix du «C'était mieux avant» et «Il faut bien que jeunesse se passe». «Un homme à la mer, on passe à l'ordre du jour», disait Léon Trotski, maître à penser de Henri Weber il y a trente-cinq ans, à propos des déserteurs du combat. Moins cruellement, je recommande le respect dû aux anciens, car la cause qu'ils affichaient était plus grande que leur personne. Mais il faut quand même passer à l'ordre du jour. La vérité est que notre indicible espoir maintenu dans la possibilité d'un monde meilleur est leur mauvaise conscience, et nos succès sont leurs défaites. Nous agissons. Ils tirent à vue. Dans le dos. Mais nous sommes déjà hors de portée des pétoires dérisoires du siècle passé. Jean-Luc Mélenchon est notre passerelle avec le monde de la nouvelle gauche à construire.