C’est une image parmi d’autres, dans la livraison quotidienne. François Hollande descend d’une voiture et serre la main d’un ouvrier, ex-Fralib, qui l’attend dans un petit groupe. Pas de contestataires, pas de sifflet, pas de Manif pour tous à l’horizon, l’image est propre, souriante, très réussie. Après une longue lutte, des nuits d’occupation d’usine pour protéger leurs machines, les ex-Fralib ont réussi à faire redémarrer en coopérative leur entreprise que l’actionnaire voulait fermer. C’est leur quatrième rencontre avec François Hollande : il les a vus une fois pendant la campagne des primaires, puis pendant la vraie campagne, et les a reçus à l’Elysée. Le thé qu’ils produisent dans les Bouches-du-Rhône sera le thé officiel de l’Elysée. Son nom ? 1336. C’est le nombre de journées de lutte.
Cette fois, Hollande vient assister à la signature du contrat de réembauche de trois salariés. Sachant que la caméra tourne, le Président s'adresse à eux. Le micro capte : «Nous savons ce que ça a représenté comme obstination, ténacité…» Un temps d'arrêt : «mais aussi esprit de compromis…»
C'est une image friandise, dotée de toutes les options nécessaires à la multidiffusion. Elle est immédiatement intelligible, à plusieurs niveaux. Premier niveau (pour le public légèrement mal comprenant des JT) : «Le Président a rendu visite aux ouvriers ex-Fralib, qu'il avait déjà rencontrés au cours de sa campagne, et qu'il souhaitait encourager dans la résurrection de l'entreprise.» Les faits bruts. Mais il y a aussi un deuxième niveau, pour décrypteurs d'émissions d'avant-soirée, et débats de chaînes d'info continue : en fait, cette visite n'est pas seulement une visite. C'est le signe que Hollande est déjà en campagne pour 2017. D'ailleurs, tout dans cette image fait signe. Les ouvriers en blouse (peuple de gauche, qu'il importe de retrouver après les trois premières années décevantes du quinquennat), le sourire (la résistance victorieuse à la multinationale anglo-néerlandaise Unilever) et jusqu'à la petite phrase : en saluant «l'esprit de compromis» des ouvriers repreneurs, le président-candidat ne parle-t-il pas de lui-même, et des compromis nécessaires du pouvoir ? En bonus, Hollande a glissé une phrase sur «le Premier ministre qui aime le thé», scoop qui permet quelques dégagements annexes sur une potentielle rivalité Hollande-Valls, dégagements toujours bienvenus pour illustrer d'une anecdote les éditos sur les sondages qui placent Valls devant Hollande.
Le plus intéressant, ce sont bien sûr les diffuseurs de cette image au second degré, les «pas dupes». Ce sont les plus nombreux. A vrai dire, plus personne n’est dupe de ce genre de communication politique élémentaire, niveau débutant. Tiens, tiens, on dirait que le Président est en campagne et qu’il va tenter de retrouver la gauche évanouie dans la nature. Analyse immédiate et universelle du concert des pas dupes. Comme un piteux époux adultère, il rentre à la maison, pour jouer à «tout est pardonné». Tout ? Les baisses de charges aux entreprises, les mamours à Gattaz, la non-contestation du déficit de 3 %, la non-inversion de la courbe, les traques de faux chômeurs, la réforme avortée des banques, le détricotage de l’encadrement Duflot des loyers, Varin et sa retraite chapeau à la tête d’Areva, les jeunes milliardaires de Macron. Tout ce que Mélenchon ne cesse de reprocher au capitaine de pédalo.
Cette minauderie présidentielle à l'approche de la réélection est un des moments les plus exaspérants de la politique française. Dès que la réélection approche, il faut les voir faire des manières, adresser des signaux subliminaux : «non, vraiment, je ne sais pas si j'ai envie de rempiler ou non», «je vous jure que je n'y pense pas», il faut les voir multiplier les chatteries, ils y sont tous passés, De Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, et aujourd'hui Hollande. Il faut les voir esquiver de longs mois la réponse aux devinettes, jusqu'à l'aveu étranglé - se souvient-on du «oui» de jeune mariée de Mitterrand en 1988 ? Pas un seul, son premier mandat accompli, qui ait quitté le Château de son plein gré. Ils n'en sortent que battus ou moribonds. Mais, surtout, ne pas se dévoiler trop tôt. Rien d'autre à faire, donc, que d'échanger des signes.