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Libération
Éditorial

Montebourg ou l’art difficile de la bonne distance

publié le 7 juin 2015 à 18h56

Méfiez-vous de Montebourg. S'il n'est plus un professionnel de la politique, il n'est pas devenu un amateur pour autant. Son nouveau dessein d'entrepreneur - reprendre ou créer des boîtes avec sa société habilement baptisée «les Equipes du made in France» - reste encore flou, mais son destin politique n'est pas scellé. Il compte bien se montrer entreprenant sur la scène publique, comme il en donnait l'avertissement jeudi dans Libération . «Je n'ai jamais dit que j'arrêtais de penser politique, d'agir en politique. J'ai simplement dit que je cessais d'en vivre. Cela me permet d'être libre, de ne rien devoir à quiconque et de défendre des convictions que je ne pouvais défendre dans ce gouvernement. […] On ne peut pas, dans une équipe, s'engueuler sur le terrain alors qu'on doit marquer des buts.» Hors du terrain, Montebourg n'est pas hors jeu, loin de là, comme le montre la polémique suscitée dimanche par sa tribune en une du Journal du dimanche, cosignée avec le banquier - et conseiller du gouvernement grec - Matthieu Pigasse. Alors que 2 000 permanents et hiérarques socialistes serraient les rangs ce week-end autour d'un Premier ministre dézinguant le «problème» Sarkozy et célébrant sa fierté d'être au service d'un président déjà adoubé en candidat naturel, alors que même Martine Aubry souriait devant les caméras, Montebourg a fait voler en éclat cette belle photo de famille rassemblée autour de la politique de l'exécutif. Et ce, en mettant deux chiffres en parallèle, ceux qui font le plus mal : «Plus de 600 000 chômeurs de plus en trois ans ! Une hausse directement corrélée à la montée exponentielle du FN (+ 10 points).» Et Montebourg d'appeler à une «coalition favorable à une baisse des impôts en faveur des ménages». Ses détracteurs ont aussitôt hurlé au scandale. Quelle facilité ! Quel manque de courage que de le clamer dans la presse plutôt qu'à la tribune ! C'est le signe qu'il va rendre sa carte du PS avant Frangy, en août ! Cambadélis a raillé sa lâcheté et Valls «ceux qui commentent, ceux qui font des tribunes exagérées, qui n'ont aucun sens de la réalité, ceux qui, au fond, n'ont pu accepter de gouverner». La vivacité de la réplique, qui porte plus sur la forme que sur le fond, traduit une grande fébrilité et risque d'avoir l'effet contraire à celui recherché : elle installe le troisième homme de la primaire socialiste de 2011 dans la position d'incarner une alternative, celle d'une «gauche moderne» aux yeux de l'opinion. Car, si les sympathisants de gauche sont sensibles aux signes d'unité, ils sont surtout à la recherche d'emplois et de pouvoir d'achat. Contrairement aux professionnels de la politique réunis à Poitiers, ils pourraient bien se dire que Montebourg, lui, ne crache pas dans la soupe puisqu'il n'en mange plus. Qu'il a le courage d'aller se frotter au monde réel de l'entreprise au lieu de pantoufler. Qu'il s'adresse désormais à eux et non pas aux apparatchiks de son parti. Qu'avec son patriotisme économique, si ringard à bien des égards, il les protégera. Des sympathisants qui pourraient s'en souvenir, en cas de non-renversement de la courbe du chômage, et de non-candidature du président sortant en 2017. Voire en 2022. C'est tout le pari de Montebourg. Encore faut-il qu'il tienne la route. Pour l'heure, il hésite. «Je suis un joueur d'échec, je sais qu'il faut accepter d'être mis en échec pour pouvoir faire échec et mat», nous disait-il. En confiant ne pas avoir pu regarder jusqu'au bout la série House of Cards, dont le héros, Frank Underwood, fait du cynisme en politique la clé de son ascension : «Trop dur.» Ou trop réaliste ?