Ce sera un des grands paradoxes (et mystères) du quinquennat de François Hollande. Lui, l’amoureux presque transi de la chose fiscale, aura mis presque cinq ans pour qu’un début de réforme fiscale finisse par voir le jour. Et encore, ce ne sera pas le big-bang espéré par une grande partie de la gauche, celui qui doit aboutir à une fusion entre l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG). Mais juste une première étape : le prélèvement de l’impôt à la source. Dimanche soir, Michel Sapin, le ministre de l’Economie, a donné un premier calendrier. Si le processus de la réforme sera bien enclenché l’année prochaine, la réforme, elle, ne sera effective qu’en 2018. Soit un an après l’élection présidentielle.
Elliptiques. Pourquoi un tel retard à l'allumage ? C'est un mélange d'arguments techniques (lire ci-contre) et de considérations plus politiques qu'un proche de Manuel Valls résume ainsi : «La seule chose que veulent les Français, c'est payer moins d'impôts. Alors il ne faudrait surtout pas qu'on donne l'impression qu'on s'attaque à la question des impôts sans vouloir les faire baisser. Ça, ce serait très dangereux.» Pour justifier l'extrême prudence du gouvernement, un ministre abonde : «On peut lancer les choses, les Français nous seront toujours redevables de simplifier l'impôt. Mais c'est tellement compliqué que ça me paraît difficile d'avoir quelque chose d'effectif avant 2017.»
Autour de François Hollande - qui a remis le sujet sur le tapis mi-mai, lors de son discours de Carcassonne, dans des termes plus qu’elliptiques -, on réfléchit au moyen de solenniser cette nouvelle étape fiscale. Une réunion de ministres ad hoc ou un Conseil des ministres y sera consacré avant la fin du mois de juin. Avec trois axes : comment bien faire passer le message aux Français sur les baisses d’impôts de 2015, la dématérialisation de la déclaration fiscale et le prélèvement à la source.
En langage élyséen, il faut «accentuer la dynamique de simplification de la relation entre les citoyens et l'impôt». «Le Président ne croit pas au grand soir fiscal, celui qui rend tout d'un coup tout plus simple, plus juste et plus efficace, dit-on à Bercy. Il veut procéder par étapes pour rendre les choses possibles à la fin.» Et pour relativiser la portée politique de cette première étape, le même conseiller veut bien admettre : «Les frondeurs seraient dans leur droit de dire que ce n'est pas une réforme fiscale ; c'est de la simplification, du purement pratique.» En clair, la fusion, ou même le rapprochement, entre l'impôt sur le revenu et la CSG ne sera pas au programme de ce quinquennat.
Chantier. Dans son petit livret des «60 engagements» de candidat, François Hollande avait bien promis une «grande réforme permettant à terme la fusion de l'impôt sur le revenu avec la CSG». Depuis son élection, le chef de l'Etat a cherché à y échapper à plusieurs reprises, mais la réforme est à chaque fois revenue par la fenêtre. Dès la primaire, Hollande avait pris ses distances avec l'idée de cette fusion, notamment défendue et popularisée par l'économiste Thomas Piketty. Et puisqu'elle était inscrite dans le programme de son parti, le candidat socialiste a dû lui faire une bonne place dans ses engagements.
Pendant deux ans, il n'en fera rien, tout en alignant (en partie) la fiscalité du capital sur le travail, en créant une nouvelle tranche d'impôt sur le revenu et en rétablissant l'ISF… En novembre 2013, pour calmer la fronde fiscale tous azimuts et sa majorité, Jean-Marc Ayrault décide de lancer ce grand chantier. Hollande laisse dire, mais fait tout pour l'enterrer. Il pensait en avoir fini. Mais, dans la préparation du congrès de Poitiers, pour convaincre Martine Aubry de rester de son côté, il se résout à l'intégrer à la motion A, celle du gouvernement. Aujourd'hui, le chef de l'Etat a simplement compris que le coût politique de son inaction serait plus lourd que celui d'une réforme, même hautement inflammable. «Même si le chômage baisse, il sait que la gauche lui dira toujours : "Oui, mais la réforme fiscale", confirme un ministre hollandais. Donc il accélère les choses.»