La France ne sera pas à Waterloo. Mais les Français y seront. Aux cérémonies du bicentenaire, seul un diplomate discret représentera le pays vaincu. Mais les Français seront en masse devant leurs télévisions, qui consacreront à l’événement de longues heures de programmes. Le paradoxe, une nouvelle fois, illustre les difficultés qu’éprouve la France à considérer sa propre histoire.
En 2005, le gouvernement avait réussi le tour de force d'envoyer un bâtiment de la marine nationale aux commémorations de la bataille de Trafalgar, une défaite écrasante, et d'être absent à la reconstitution d'Austerlitz, une victoire éclatante. Curieux masochisme… On dira qu'il est difficile à la République de célébrer un homme qui l'avait abolie en son temps pour mettre en place un régime tyrannique et guerrier. On connaît le célèbre article «Bonaparte» du dictionnaire de Pierre Larousse, encyclopédiste très républicain : «Général français né en 1769 à Ajaccio, mort à Saint-Cloud le 18 Brumaire 1799.» La République admet le militaire de la Révolution mais pas l'empereur, qui ne dispose à Paris d'aucune rue à son nom, pas même une impasse… La saignée des guerres incessantes, la dictature, l'oppression des esprits, les horreurs de la guerre d'Espagne et l'échec final qui laisse le pays exsangue expliquent le malaise. Cela se comprend.
Mais l'oubli est-il de bonne pédagogie ? Dans la Chartreuse de Parme, Fabrice va rejoindre les Français à Waterloo, où il ne verra rien ou presque, comme on sait. Pourquoi ? Parce que la France, en 1815, incarne encore l'esprit de la Révolution, opposé aux monarchies conservatrices. Hugo, Balzac, Vigny, Stendhal cultiveront, chacun à sa manière, la nostalgie napoléonienne qui plane sur le XIXe siècle. Il était tout à fait possible d'aller à Waterloo muni d'un bon livre d'histoire, pour célébrer, face au souvenir du massacre, les bienfaits de la paix européenne. Il était possible de fustiger la tyrannie d'un homme mais de rappeler que beaucoup de soldats sont morts à Waterloo pour l'égalité, même si Napoléon avait relevé ce drapeau par simple calcul. Pour regarder son passé en face, il faut commencer par ne pas lui tourner le dos.