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Analyse

Xavier Bertrand en campagne: l'anti-Sarkozy

Le candidat à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie fait campagne sur le travail, tournant ostensiblement le dos aux thèmes identitaires qui obsèdent l'ex-chef de l'Etat
Meeting de Xavier Bertrand, à Bousbecque, le 18 juin. (© Thierry Thorel)
publié le 19 juin 2015 à 12h56

Le travail, le travail et encore le travail. Pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie dont il brigue la présidence, le programme de Xavier Bertrand tient en un mot qu'il martèle obstinément. Sans cravate, à la mode Syriza, l'ancien ministre du Travail de Nicolas Sarkozy se présente en homme du peuple, en vrai provincial débarrassé de ses oripeaux de «politicien parisien». Devant près d'un millier de sympathisants, il lançait jeudi soir sa campagne électorale à Bousbecque, au nord de Tourcoing, dans la circonscription de son directeur de campagne Gérald Darmanin. Il se présente très volontiers en «challenger de la fille de Jean-Marie Le Pen» et se fait fort de la battre en misant sur la proximité et le pragmatisme, bien plus que sur les thèmes identitaires rabâchés par l'ancien chef de l'Etat.

Le choix de Bousbecque petit bourg de 5 000 habitants symbolise son projet. Xavier Bertrand veut parler à la France périphérique, celle-là même qui garantit au FN ses meilleurs scores dans cette région. Bousbecque, c’est aussi, selon Darmanin, la mesure de l’échec des socialistes : 17 % de chômeur quand la ville belge voisine de Courtrai, de l’autre côté de la frontière, connaît le plein-emploi.

Avec les conseillers qui l’accompagnent depuis plusieurs années, il a mis au point un plan de communication très professionnel, testé pour la première fois ce jeudi soir. Sous le slogan «notre région au travail» une série d’une demi-douzaine d’affiches décore le gymnase de Bousbecque. Volontaire et concentré, le candidat y apparaît comme un modeste questionneur - toujours sans cravate - saisi sur le vif à l’occasion de ses visites dans des entreprises de la région: Bertrand chez les métallos, Bertrand chez les agriculteurs, les menuisiers, les dockers, etc.

Sur ces photos comme dans son discours, on cherche en vain la moindre référence au parti les Républicains (LR) et à son fondateur Nicolas Sarkozy. Un effacement délibéré qui ne semble pas contrarier les sympathisants. Bertrand avait annoncé la couleur le 15 juin sur France Info : «Je ne paie plus les factures des autres.» Autrement dit, l'héritage sarkozyste n'est pas le sien, même s'il se dit fier d'avoir «porté» les heures supplémentaires défiscalisées et le service minimum en cas de grève dans les transports. Pour le reste, gauche et droite confondues, la classe politique a fait, selon lui, la démonstration de son incapacité à résorber le chômage.

En ce 18 juin, Charles De Gaulle reste l’unique référence dont le député de l’Aisne consente à se réclamer. Les seuls contemporains auxquels il rendra hommage seront le centriste Jean-Louis Borloo et le patriarche socialiste Pierre Mauroy dont il accuse ses successeurs d’avoir dilapidé l’héritage. Tout en assumant son déjà long passé d’élu cumulard, trois fois ministres et même chef de parti, le jeune quinquagénaire assure avoir appris des échecs passés.

Quelques mois après la défaite de mai 2012, il s'est mis sur les rangs de la primaire pour 2017 avant de s'imposer une longue abstinence médiatique. «Il voulait se donner le temps de réfléchir à ce qui n'avait pas marché. Surtout ne pas pérorer sur tous les sujets en prétendant avoir réponse à tout», explique un de ses conseillers. Dans le duel qui devrait l'opposer à Marine Le Pen, il promet de s'en tenir à son slogan de campagne : «la région au travail». La politique régionale sera dictée par un seul critère : «Est-ce que cela favorise l'emploi, est-ce que cela donne du travail ?» C'est ainsi qu'il prend l'engagement solennel de donner un contrat d'apprentissage à «tout jeune qui en fera la demande».

Mais il n'oublie pas, pour autant, les classiques promesses de campagne électorale: la vidéosurveillance dans tous les trains ou encore des emplois administratifs pour Amiens qui, c'est juré, ne devrait rien perdre en cessant d'être capitale régionale. Depuis l'estrade encadrée de deux grands écrans vidéo qui diffusent des questions de sympathisants, il montre qu'il sait encore faire dans la démagogie : «Vous êtes les vrais protecteurs de la nature, bien plus que les Khmers verts», lance-t-il aux nombreux chasseurs électeurs venus l'entendre

Parce que le monde politique est «déconnecté», peuplé de gens «qui marchent sur la tête», le candidat prévient qu'il conduira «une liste de très large union» dans laquelle les personnalités issues de la société civile auront une large place. Ils se verront même confier certains des secteurs clés de la politique régionale.

Autant dire que Xavier Bertrand n’a pas prévu de relayer la campagne identitaire du chef de LR. Pas un mot, jeudi soir sur les périls du communautarisme et de l’immigration chers à Nicolas Sarkozy. S’il martèle le mot travail, le député-maire de Saint-Quentin ne prononce pas une seule fois celui de république, comme si le bombardement sarkozyste l’avait rendu indigeste. On voit mal, si cette campagne devait se poursuivre comme elle commence, comment l’ancien chef de l’Etat pourrait se prévaloir d’une éventuelle victoire de Xavier Bertrand sur Marine Le Pen. C’est pourtant, en cas de victoire, ce qu’il risque bien de faire.