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Analyse

Parlement : les élus pris dans le boulot d’étranglement

Pour défendre l’utilisation répétée de l’article 49.3, le gouvernement a invoqué la lenteur des députés à examiner les lois. Ces derniers renvoient la balle et dénoncent une surcharge de travail croissante et des textes «mal ficelés».
17 propositions ont été avancées par 23 parlementaires et personnalités de la société civile sur la réforme des institutions et comprend notamment l’idée d’un septennat non renouvelable. (Photo Sébastien Calvet)
publié le 22 juin 2015 à 19h36

Un 49.3 pour en finir fissa. Dans les couloirs de l'Assemblée nationale, les bons soldats socialistes chargés de justifier l'adoption sans vote du projet de loi Macron ne juraient, la semaine dernière, que par cet argument. «Déjà 437 heures de débat, tout a été dit», «la France ne peut plus attendre, le Parlement ne doit pas prendre en otage les acteurs économiques de ce pays», etc. Enclencher l'arme constitutionnelle du 49.3 sur le texte «pour la croissance et l'activité» permettait de couper court au débat dans l'hémicycle. Une petite semaine de débat trappée qui garantirait l'adoption définitive du texte mi-juillet. «Quand on fait une annonce, les Français ont l'impression que la loi entre en vigueur le lendemain. Reporter à septembre aurait été insupportable», souffle le président de la commission spéciale, François Brottes (PS).

Cet élément de langage était certes bien pratique pour occulter le fait que le gouvernement aurait encore échoué à réunir une majorité. Mais il traduit plus généralement une impatience qui monte. Trop lent, le Parlement, trop lourde la fabrication de la loi ? «De l'annonce d'une réforme en Conseil des ministres aux décrets d'application, il faut attendre un an, voire dix-huit mois, trépigne un ténor de la majorité. Cinq lectures entre l'Assemblée et le Sénat, enfin ! L'ingénierie législative dysfonctionne par tous les bouts.» Le premier à intenter ce procès en lenteur est François Hollande. Le Président appelle fréquemment à «aller beaucoup plus vite» et à revoir «le système parlementaire hérité du XIXe siècle». «Les réformes prennent trop de temps, jugeait-il voilà dix jours au Congrès de la mutualité. Nos procédures ne sont plus adaptées à l'exigence de rapidité et aux urgences de la société.» Comme si celui qui a usé vingt ans les bancs du Palais-Bourbon découvrait aujourd'hui les charmes de la procédure.

Des cadences infernales

Voilà les parlementaires accusés de travailler à un train de sénateur. Pourtant, un coup d'œil à l'ordre du jour suffit à constater que le législateur n'a pas le loisir de lambiner. Rien qu'à l'Assemblée, le temps libéré par l'usage du 49.3 a été aussitôt employé pour avancer l'examen de cinq textes en séance. Dans le prochain mois, Sénat et Assemblée doivent débattre d'une dizaine de projets de loi plus que consistants - dialogue social, réforme de l'asile, transition énergétique, immigration, etc. Les sessions d'été dites «extraordinaires» sont devenues la norme. Bien sûr, aucun député ne suit l'intégralité des textes, mais les travaux entre commission et hémicycle s'enchaînent sans pause. Sur la seule session 2014-2015, 60 projets de loi et 213 propositions de loi ont été déposés à l'Assemblée et 52 textes adoptés définitivement. «On est crevés, on travaille mal et trop», soupire Alain Tourret. Le radical de gauche a déjà poussé un coup de gueule en 2013 contre ces cadences infernales : «Nous avons arrêté nos travaux à 2 h 30, nous les reprenons à 9 h 30, c'est un harcèlement. Les conditions de sauvegarde de notre santé physique et morale posent problème», avait-il protesté auprès du président de l'Assemblée.

Depuis, Claude Bartolone a fait voter une réforme du règlement censée limiter les séances de nuit et cantonner le programme de la semaine sur trois jours. «On n'y a vu que du feu, on continue de siéger tard et les lundi et vendredi, note François de Rugy, coprésident du groupe EE-LV. Le travail est très lent et, à la fois, on est pressés par le temps.»

Peut-on demander à un Parlement sur les rotules d'aller encore plus vite ? Le président (PS) de la commission des lois de l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, relativise ses injonctions à accélérer : «Le temps n'est pas le même pour le Parlement et l'exécutif. L'exécutif conçoit le Parlement comme un mal nécessaire et le Parlement voit en l'exécutif un impatient permanent.» Chacun est dans son rôle, le nez sur son propre impératif : «Le travail parlementaire consiste à faire la loi la plus parfaite, ce qui est long. L'exécutif a besoin de donner de la visibilité à son action, donc comprime le temps du Parlement.»

Une procédure lourde

Dans les cabinets ministériels, on se plaint de ne disposer que de deux semaines par mois pour faire passer les textes du gouvernement. Les deux autres semaines sont dédiées à l'examen des propositions de loi des parlementaires et à l'évaluation de l'action du gouvernement : «Les députés ont une imagination sans borne pour déposer des propositions de loi souvent mal ficelées», se désole une conseillère ministérielle. Quant à la semaine de contrôle de la politique gouvernementale (tables rondes, questions-réponses avec un ministre), «elle est inutile, reprend cette conseillère, cela doit passionner cinq chercheurs et cloue un ministre au banc toute la journée.»

Si tous se renvoient la responsabilité de l’encombrement législatif, il est vrai que la procédure parlementaire est lourde. Débat à l’Assemblée, en commission puis en séance, rebelote au Sénat puis deuxième navette. Et si les deux chambres échouent encore à s’entendre en commission mixte paritaire… troisième aller-retour, avant que l’Assemblée ne tranche. «On rabâche toujours la même chose», fatigue François de Rugy qui propose que la procédure accélérée - une lecture dans chaque chambre si elles parviennent à s’accorder - devienne la règle : «En matière de débat démocratique et de qualité du travail législatif, ça suffirait», estime l’écologiste.«Et si encore on progressait ensemble, mais la loi Notre (organisation territoriale) est l’exemple inverse. Le Sénat et l’Assemblée ont détricoté les versions successives. Des mois qu’on perd notre temps… C’est un ping-pong stérile où on se neutralise mutuellement», dénonce l’UDI Jean-Christophe Fromantin.

La Constitution en accusation

Les réfractaires au bicaméralisme en profitent pour s'interroger sur l'intérêt de passer systématiquement par le Sénat. Certains jugent aussi que l'on doit pouvoir parfois sauter la case «hémicycle» pour faire adopter directement par une des commissions (lois, affaires économiques, Affaires sociales, etc.) de «petits textes». Pas la peine par exemple de monopoliser l'hémicycle pour la ratification d'une convention avec Andorre.

Autant d'aménagements qui nécessiteraient une réforme de la Constitution - aujourd'hui improbable. Et puis ce temps long des débats à répétition trouve aussi des défenseurs. «C'est faux de dire qu'on est lent. Il y a un intérêt à ce que la loi soit mûrie, polie», plaide Denys Robilliard (PS). Déceler les vices cachés, creuser les intentions du législateur ou «laisser monter les contestations de l'extérieur, c'est important, cela nécessite d'y revenir», plaide-t-il. Sous la pression du chrono, s'est par exemple glissée une bourde dans la loi sur la transparence de la vie publique de 2013. L'amendement d'un sénateur avait par erreur écrasé la phrase d'une ancienne loi qui punissait les partis recevant des dons de personne morale (ce qui est interdit). Le bug, repéré au profit du trésorier du FN dans l'enquête sur son financement, est largement dû à l'urgence dans laquelle la loi a été débattue.

Des lois trop grasses

Cette nécessité de peaufiner toujours tient aussi au fait que la loi est de plus en plus précise. «On rentre dans l'infiniment petit, observe Jean-Jacques Urvoas. Les députés en portent la responsabilité, puisqu'ils n'hésitent pas à mettre des éléments dans la loi qui ne sont pas censés en relever.» Comme des détails du ressort du règlement, qui devraient être fixés par décret ou se décident à l'échelon local. «Parce que ses électeurs le lui ont demandé, un député va faire une PPL sur l'élagage obligatoire des arbres, mais ça, c'est un sujet communal ou régional qui ne dépend pas de nous», cite Jean-Christophe Fromantin.

Dans cette surenchère, parlementaires comme ministres sont fautifs, tous autant tentés de légiférer sur tout et n'importe quoi. Pour le constitutionnaliste Didier Maus, le gouvernement est même «premier responsable. C'est lui qui fournit la matière première : un texte comme Macron compile des sujets sans rapport les uns aux autres. Plus un texte est hétérogène, plus il y a de tentations d'en rajouter.» La loi Macron et ses 400 articles ou la loi Notre et sa palanquée d'articles ter, quater, quinquies… Non seulement les lois sont nombreuses mais elles sont trop grasses, passées d'une moyenne de 20 articles dans les années 70 à une quarantaine. L'entourage de Claude Bartolone pointe aussi une «responsabilité partagée» dans la lenteur de la fabrication des lois et prône «des lois moins bavardes et mieux préparées». «L'action réformatrice d'un ministre ne passe pas nécessairement par la loi», conseille à son tour Jean-Jacques Urvoas. Le président de la commission des lois - qui examine près de 40 % des textes qui passent à l'Assemblée - prévoit «encore cette année» de squatter l'hémicycle - «climatisé» - les trois premières semaines de juillet : «Et à nouveau, je fermerai la lumière» en fin de session. Loin de rassurer, il professe : «En principe, les sessions les plus denses ont lieu au début du quinquennat, pour montrer qu'on lance les réformes, et à la fin, lorsqu'on met les bouchées doubles avant de retourner aux urnes. 2015 était censée être une année "souple"…» Vous avez aimé cette session de mi-mandat, vous adorerez la saison 2016.