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Libération
Récit

Charles Pasqua, homme de réseau et d'appareil

L'élu des Hauts-de-Seine décédé lundi avait une vision parfois brutale et souvent cynique de la politique. Il fut un expert reconnu de la «démocratie des autocars».
publié le 30 juin 2015 à 6h49

Pendant plus d’un demi-siècle, de l’immédiat après-guerre jusqu’à sa mort, ce lundi 29 mai, Charles Pasqua aura été un homme de réseau et un redoutable apparatchik au service du Général de Gaulle puis de ceux qui se prétendaient ses héritiers. Engagé dès 1943, à l’âge de 16 ans, dans les réseaux de la France Libre, il sera membre de l’UNR (Union pour la nouvelle République) dès sa fondation en 1958. L’année suivante il est surtout l’un des piliers du fameux Service d’action civique (SAC), la «police privée» du gaullisme.

Mobilisé dans la lutte contre les actions terroristes des partisans de l’Algérie française au début des années 60, le SAC s’illustrera dix ans plus tard par ses actions coup de poing contre les mouvements gauchistes. Aux côtés des grognards du gaullisme, le «Service» recrute bon nombre de voyous et de barbouzes au passé judiciaire chargé. Un mélange des genres qui a largement contribué à la réputation sulfureuse de Pasqua.

Style direct et fleuri

Elu député UDR des Hauts-de-Seine en 1969 (à Clichy-Levallois), il sera dans les décennies suivantes de tous les partis qui se réclameront du père de la Ve République : l’UDR dont il sera secrétaire général adjoint et surtout, à partir de 1977, le RPR dont il sera membre fondateur. Les militants raffolent de son style direct et fleuri, de sa brutalité servie par un accent à la Fernandel. Il est celui qui rendra possible l’ascension du piètre orateur Jacques Chirac. Principal animateur, avec Philippe Séguin du courant souverainiste, Pasqua lancera son propre mouvement, Demain la France, pour animer sa campagne pour le non au traité de Maastricht (1992). L’aventure se poursuivra avec l’éphémère «Rassemblement pour la France», créé en 1999 avec Philippe de Villiers.

Officiellement retiré de la vie politique en 2011, il est resté jusqu’au bout une référence pour les anciens du RPR, tout particulièrement de ceux qui ont fait leur carrière avec sa bénédiction dans son fief de Hauts-de-Seine : Nicolas Sarkozy, bien sûr, mais aussi, les époux Balkany, Roger Karoutchi, Patrick Devedjian, Manuel Aeschlimann, etc.

Comme pour boucler sa très longue carrière, son dernier geste politique aura été sa présence le 30 mai dernier au congrès fondateur du parti «Les Républicains» (LR) de Nicolas Sarkozy. Une apparition muette et plutôt discrète. Assis au premier rang, il est arrivé au moment où les sifflets accueillaient François Fillon. Des congrès de ce genre, Pasqua en aura connu des dizaines, bien souvent dans le rôle de l'organisateur.

«Démocratie des autocars»

Dans ce domaine, ll avait un savoir-faire incontestable et manifestement oublié. Début juin, un haut responsable de LR, déçu par la faible affluence au congrès du 30 mai confiait à Libération combien il regrettait que les organisateurs du rassemblement sarkozyste n'aient pas retenu les précieuses leçons du maître. «Pour être sûr d'avoir des salles archicombles en région parisienne, Pasqua avait pour principe de ne compter, pour les remplir, que sur les provinciaux. Avec les militants d'Ile-de-France en plus, c'était l'affluence assurée», confie ce nostalgique. Au lieu des 20 000 attendues, le congrès de LR n'a réuni que 8000 personnes.

Charles Pasqua est souvent considéré comme l’inventeur de ce que l’on a élégamment baptisé «la démocratie des autocars». En d’autres termes: l’art de remplir des salles pour faire la claque de Jacques Chirac. Il se surpassera le 5 décembre 1976 en réunissant plus de 60000 personnes au congrès fondateur du RPR. De quoi impressionner le président Giscard d’Estaing, l’homme à abattre pour les chiraquiens en général et pour Pasqua en particulier. Ce talent de metteur en scène allait de pair avec une conception cynique de la vie politique. Celle qui fait dire que «les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent». Autrement dit que tout est permis dès lors qu’il s’agit de conquérir le pouvoir.

Mais en matière de démonstration de force, le grand fait d’arme de Charles Pasqua reste sa contribution à l’organisation de la mythique contre-manifestation du 30 mai 1968. Il s’agissait ce jour-là de faire défiler «la majorité silencieuse» exaspérée par la «chienlit» déversée par les contestataires gauchistes. Grâce au SAC et à son vice-président Pasqua, le rassemblement du 30 mai sera largement ouvert à la droite extrême, y compris aux anciens militants de l’Algérie française. Ce sera l’ébauche d’une réconciliation de «toute» la droite, voulue par Georges Pompidou, mais combattue par Jacques Chaban-Delmas.

Pour une alliance avec le FN

Il n'est pas illogique, dans ces conditions que le même Pasqua devienne, vingt ans plus tard, le plus chaud partisan d'une «alliance». «Le FN se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité» déclarera le ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988, alors que Jean-Marie Le Pen venait de recueillir 14,4 % de voix au premier tour. A la même époque, Pasqua se disait aussi favorable au rétablissement de la peine de mort.

En mars dernier, à l'occasion de l'une de ses dernières interviews au club de la presse d'Europe 1, il s'est énergiquement défendu de toute sympathie ou complaisance pour le FN. N'a-t-il pas fait partie d'un club secret d'anciens résistants, «composé à parité de gens de droite et de gauche»? Renouant avec son gaullisme originel, le chef de parti retraité a martelé qu'il n'y avait aucun accord possible avec le FN car ce serait «une condamnation à mort» de sa famille politique.