Un été, un premier adjoint. A Hayange, ville tenue depuis 2014 par le Front National, Damien Bourgois a jeté l’éponge jeudi. L’été dernier c’était Marie Da Silva, suivie par deux autres élus de la majorité. Les uns après les autres, ils se désolidarisent de leur maire, Fabien Engelmann. Privés de leurs délégations, ils siègent toujours, votent. Et c’est ainsi que les rangs des dissidents du FN gonflent ; que la majorité dont dispose Engelmann s’étiole. Sur les 19 fidèles qu’il lui reste parmi les 33 membres du conseil, une poignée encore est tentée de faire un pas de côté. S’ils n’obéissaient plus, la ville pourrait être bloquée.
En même temps, dans la mesure où les grands projets soumis au vote se résument à la réfection et au nettoyage des rues, pas sûr qu'on voit la différence. L'opposition, de gauche comme de droite, refuse de faire front commun avec la bande des ex-adjoints frontistes. «Question d'éthique, explique Marc Olenine, porte-parole de Hayange plus belle ma ville. Aujourd'hui, ils font figure de résistants, de héros, mais ils ont participé activement à cette campagne municipale dégueulasse et xénophobe.»
Chasse aux sorcières
A Hayange, c'est donc la même scène qui se rejoue, invariablement. Cette année encore, le feuilleton de l'été s'annonce riche en rebondissements. La trame est grosso modo la même. Rappel de la saison précédente : l'été dernier, Marie Da Silva dénonçait les «dérives autocratiques du maire» qui voulait la réduire au rôle de simple figurante, ne la laissant accéder à aucun dossier. Elle déballe alors sur la place publique les magouilles dans les comptes de campagne. La manœuvre vise à éjecter le despote de son fauteuil. En retour, la ligne de défense d'Engelmann est simple : il l'accuse d'être incompétente, et surtout, de vouloir être calife à la place du calife alors que lui a le soutien du parti.
Le règlement de compte par médias interposés bat son plein. La chasse aux sorcières est ouverte au sein de la mairie. Le climat est détestable, entre agents, entre élus. Mais, condamné à un an d'inéligibilité en première instance, Engelmann peut finalement conserver son siège suite à une décision du Conseil d'Etat, eu égard aux faibles montants en jeu. On peut voler un œuf, tant qu'on ne vole pas un bœuf.
«Il m’a fait peur»
Cette saison, c'est un autre déballage de magouilles de campagne qui a poussé le nouveau premier adjoint, à prendre la porte. Mercredi, Charlie hebdo a révélé toute l'affaire que Libération mentionnait à l'automne dernier, et qui porte, elle sur les élections législatives de 2012. Lors de celles-ci, Engelmann, pas encore maire, est candidat dans la 8e circonscription. En mai, il demande à un militant et ami, Patrice Philippot (rien à voir avec Florian), de créer une auto-entreprise. Celle-ci n'a qu'une seule vocation : éditer de fausses factures, soi-disant pour des opérations de tractage. Par la suite, celles-ci ouvriront droit à des remboursements de l'Etat au titre des dépenses de campagne.
«Il m'a pris par les sentiments : il devait ensuite donner l'argent aux militants pour les dédommager de leurs frais d'essence, car beaucoup étaient au chômage, raconte Patrice Philippot à Libération. Je trouvais le geste beau. J'ai été naïf.» L'homme n'a pas le permis de conduire, pas de véhicule : difficile pour tracter. Et l'argent, les militants n'en ont pas vu la couleur.
Le système a aussi bénéficié à Delphine Haffner, candidate FN dans la 1e circonscription lors des législatives. Patrice Philippot établit deux factures qu'il transmet aux mandataires financiers des candidats : 7020 euros pour Engelmann, 6980 pour Haffner. Sur ces 14 000 euros remboursés par l'Etat, Patrice Philippot en garde 3300 pour payer l'impôt sur les sociétés, sur son revenu et les cotisations. Le reste, il le retire en plusieurs fois, en petites coupures, au mois de juillet 2012 et remet les enveloppes aux candidats. A chaque fois, il leur fait signer un reçu. Le compte est siphonné. «En 2014, Engelmann a insisté pour que je sois son mandataire financier durant les municipales, j'ai cédé un peu à contrecœur, poursuit Philippot. Je n'étais même plus encarté au FN.»
Quand éclate le scandale des irrégularités dans les comptes en septembre, Patrice Philippot est «stupéfait». Engelmann téléphone puis débarque chez lui, «il m'a fait peur, m'a dit de détruire tous les papiers, tout ce que je lui ai fait signer. Bêtement, j'ai obéi. Il m'a dit qu'il allait avoir une plainte au cul, que s'il tombait, je tombais aussi, que la police allait venir perquisitionner chez moi à 6h du matin, que je perdrais mon boulot, mon appart, que j'irais en prison et que mon petit chat serait envoyé à la SPA où il mourrait.» L'homme sombre dans la dépression. Il est en arrêt maladie pour trois mois, se lève chaque jour à 5h, guettant l'arrivée de la police. «Je vivais dans la peur, je ne mangeais plus, ne dormais plus et Engelmann en rajoutait des couches, m'expliquant que j'étais sur écoute. Quand il venait, il fallait toujours qu'on laisse nos portables éteints dans la chambre fermée et qu'on aille à l'autre bout de l'appartement pour discuter. Je ne devais surtout pas parler aux journalistes, c'était des ennemis.»
«La coupe est pleine»
Celui qui l'a poussé à parler aujourd'hui, c'est un prêtre. Après s'est confessé, le curé l'a invité à dire la vérité aux forces de l'ordre. Il a été auditionné durant trois heures vendredi. «Le commissaire m'a dit que je ne risquais pas la prison», lâche-t-il, soulagé, un peu honteux. Au même moment, l'ancien suppléant d'Engelmann en 2012, Stéphane Lorménil, a écrit au procureur de Thionville pour dénoncer les mêmes faits. «J'ai découvert les fausses factures durant la campagne. Les militants aujourd'hui sont écœurés, ils ne sont plus adhérents au FN, moi non plus. Engelmann est passé jusqu'à présent entre les mailles du filet mais il a un gros problème avec l'argent, il déteste ceux qui en ont et aime faire croire qu'il en a.» Engelmann a soigneusement cloisonné sa vie. Il a tenu la majorité de son équipe actuelle à l'écart des militants de 2012. Et inutile de dire qu'il ne fréquente plus ses anciens camarades de LO, de la CGT et du NPA.
Le maire nie en bloc les nouvelles accusations : «Tout est légal, le tractage a bel et bien été effectué par Patrice Philippot», affirme-t-il. Même sans voiture ? «On le déposait avec une carriole et il distribuait à pied». Quant à l'argent, l'auto-entrepreneur «l'a partagé avec Lorménil qui a gros problèmes financiers. Je n'ai jamais eu d'enveloppe, il n'a jamais été question de redistribuer l'argent, ils ont manigancé ça ensemble. Il y a des gens qui ont une jalousie folle et de la haine à mon encontre. Il faut des preuves pour accuser et comme par hasard, elles auraient été détruites !»
«Le FN, ce n'est pas ça !» lance Damien Bourgois, le premier adjoint sur la sellette. Quand il a ouvert Charlie hebdo mercredi, il s'est rappelé avoir été témoin d'une conversation téléphonique dans laquelle le maire intimait à Patrice Philippot de «tout détruire». Bourgois, l'ancien gendarme, explique à Libération avoir «l'intime conviction de la culpabilité d'Engelmann. La coupe est pleine, je veux un maire aux mains propres.» Désormais, il votera lors du conseil municipal «en [son] âme et conscience», et l'annonce dans le Républicain lorrain jeudi. Réponse d'Engelmann ce matin dans les mêmes colonnes : il accuse Bourgois d'incompétence, de vouloir être calife à la place du calife alors que lui a le soutien du parti. Un refrain qu'on a déjà entendu. «Le FN m'appuie complètement, insiste Engelmann. Cela arrive à tout le monde d'avoir des défections... C'est vrai que moi, je suis entourée d'une belle brochette. Quel FN veut Bourgois, cet ancien identitaire au crâne rasé ? Revenir à l'époque Le Pen père ?».
Clochemerle
Bourgois confie son quotidien d'élu, un récit qui fait là encore étrangement écho à celui de Marie Da Silva. A la mairie, lui non plus n'est pas consulté sur les décisions relevant pourtant de ses compétences. «Tant qu'on est un idiot utile et manipulable, capable de gober les mensonges du maire, tout va bien. Dès qu'on commence à s'émanciper, on devient une cible. Progressivement, il a évincé toutes les personnes qualifiées, reste les précaires sans emploi tenus par leurs indemnités.» Lorsqu'il prend la défense de personnels remerciés, d'élus accusés à tort, «les favoris d'Engelmann [lui] tombent dessus».
«Engelmann était convaincu que le conseil d'Etat le ferait sauter, poursuit l'ex-premier adjoint. Il fallait lui signer un contrat de directeur de cabinet, avec un salaire mirobolant. Son plan, une fois passé l'année d'inéligibilité, c'était de faire démissionner le conseil municipal, pour qu'il se fasse réélire par la population. Et si le FN n'était pas d'accord, il a confié qu'il ferait sans le parti.» Voilà pour l'appel du futur ex-premier adjoint, à Marine Le Pen dans Clochemerle II.