«Ben alors Juju, t'es pas en campagne», balance un invité en s'épongeant le front dans la grande salle des mariages de la mairie d'Alfortville, transformée en étuve par la météo et l'affluence. «Ben si, justement», sourit Julien Dray, tout juste désigné tête de liste socialiste pour les élections régionales dans le Val-de-Marne. Où a convergé samedi une myriade de dirigeants de gauche – Premier ministre, président de l'Assemblée, trois ministres, patron du Parti socialiste, députés, conseillers ministériels et présidentiels – pour célébrer le premier mariage gay d'un parlementaire français, le sénateur et maire PS de la ville, Luc Carvounas, avec son compagnon, Stéphane Exposito, qui travaille pour le gouvernement.
Même pour les noces de deux amis, les bonnes vieilles habitudes politiques ont perduré. Abusant de leur position dominante, les socialistes squattent tout le premier rang et relèguent les invités écologistes, communistes, radicaux et autres alliés aux rangées de chaises en velours rouge suivantes, sous l’œil bienveillant de François Hollande, version portrait de Depardon. Pour être sûr que les familles des mariés aient une place, on avait pris soin de marquer leurs sièges, comme dans un meeting.
Premier adjoint de Carvounas et maître de cérémonie, Michel Gerchinovitz profite du moment : «Depuis quelques secondes, j'ai l'impression d'avoir ouvert le congrès de réunification de la gauche.» Manuel Valls se marre, Claude Bartolone et Jean-Christophe Cambadélis aussi. «J'ai entendu le mot synthèse», s'amuse Frédérique Espagnac, jeune sénatrice proche du chef de l'Etat, arrivée un peu à la bourre. Sous les boiseries, toutes les chapelles socialistes du Bureau national essaient de faire retomber la température grâce à des éventails multicolores. «C'est beau hein», glisse la sénatrice verte Esther Benbassa sans que l'on sache si elle admire la palanquée de socialistes sur leur 31 ou les mariés qui viennent de se dire «oui» sous des cascades d'applaudissements façon rock star. «Rien que pour ça» (l'adoption du mariage pour tous en 2013) les écologistes sont fiers d'avoir participé au gouvernement qu'ils ont quitté il y a quinze mois.
Gauche plurielle et endimanchée
Oncle de Stéphane Exposito, le maire d’Ussel, en Corrèze, sera le seul homme politique de droite repéré. La «TPE Valls», dont Luc Carvounas fait partie depuis 2009, est venue, elle, en nombre. Du député Carlos da Silva à Christian Gravel, chef de la communication gouvernementale en passant par Francis Chouat, successeur de Manuel Valls à la mairie d’Evry, qui tente de survivre à la chaleur dans un magnifique costard trois pièces. Cécile Duflot et Emmanuelle Cosse papotent avec Robert Hue, Roger-Gérard Schwartzenberg et la secrétaire d’Etat Laurence Rossignol. Les socialistes parisiens et franciliens Rémi Féraud, Emeric Bréhier, Malek Boutih, Sarah Proust, Marie-Pierre de la Gontrie slaloment, les courants hollandais, vallsistes, aubrystes se mêlent. La gauche plurielle et endimanchée.
«C'est un rassemblement où des gens qui ne se voient pas… se voient», résume Yves Colmou, principal conseiller de Manuel Valls, fabricant officiel de stratégie politique et grand manitou de la carte électorale socialiste. Sur les marches de la mairie, on vient lui serrer la main, parfois avec un peu beaucoup d'obséquiosité. Pareil pour Christophe Borgel, chargé des élections (et donc des investitures) au PS, débarqué du métro un roman à la main.
Officiellement, personne ne parle politique. «Je suis venue voir des amis qui s'aiment, je suis heureuse pour eux», livre la secrétaire d'Etat chargée des droits des femmes, Pascale Boistard, dont Stéphane Exposito est le chef de cabinet. Pour Valls, porteur d'un «message d'amour et de bonheur» – ce qui le change pas mal – ce mariage pour tous «est un symbole, un souffle de liberté et de tolérance» mais aussi «une loi qui s'applique, un engagement du président de la République». Sécurité oblige, le chef du gouvernement a débarqué au dernier moment avant la cérémonie. Sans cravate et sans son épouse mais dans la même berline que le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Harlem Désir. Qui gardera son portable vissé à l'oreille jusqu'au début du mariage. La Grèce ? «Vu les messages que je reçois de l'Elysée, tout ce que je peux vous dire c'est que c'est loin d'être dans la poche à l'Eurogroupe», confie un parlementaire.
Injures et menaces
Devant la mairie de briques roses, une petite foule s'est massée dès le début de l'après-midi. Les bus ont été détournés «parce qu'il y a l'événement», précise le cafetier de la place François-Mitterrand. Et surtout pour des raisons de sécurité vu le parterre d'officiels et parce que l'annonce de ce mariage homo a donné lieu à un déluge d'injures sur les réseaux sociaux. Un quinquagénaire ayant menacé les mariés de mort dans un message à caractère homophobe a pris 1 500 euros d'amende et quatre mois de prison avec sursis, vendredi. Des menaces de mort ? «Oh la vache, c'est pas vrai, s'exclame Andrée, octogénaire émue aux larmes. Les gens sont vraiment cons. Tout le monde a droit à l'amour.»
Monique, qui a «mis de la glue sur (son) banc depuis la veille» pour être aux premières loges, s'est installée avec des sandwichs. Elle est venue dire «beaucoup de bonheur à M.le Maire». Quand on lui demande ce qu'il pense du mariage gay, son mari philosophe : «Faut être de son temps, de sa génération.» Leur fille, Madeleine, veut «tout simplement» embrasser «Luc» et pointe le fronton de la mairie où est frappée la devise de la France : «Il y a bien écrit "liberté, égalité, fraternité"…» Les mariés sortent saluer les habitants d'Alfortville, un couple comme un autre. Acclamations et félicitations pleuvent. Après un petit bain de foule – il n'oublie pas qu'il est candidat à la tête de l'Ile de France – Claude Bartolone claironne : «C'est ça l'égalité, plus personne ne craint les belles-mères et les notaires.»