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Analyse

Antiterrorisme : la nouvelle voix de l’exécutif

Jusqu’à présent, le gouvernement communiquait peu sur les attentats déjoués. Mais depuis les tueries de janvier, la doctrine a changé.
François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, le 13 janvier, à la préfecture de police de Paris, lors de la cérémonie d’hommage aux trois policiers tués par les frères Kouachi. (Photo Witt.Sipa)
publié le 16 juillet 2015 à 20h06

Un Président qui joue au ministre de l'Intérieur et un ministre de l'Intérieur qui parle comme un procureur. L'affaire du projet d'attentat déjoué contre un gradé d'une base militaire à Collioure (Pyrénées-Orientales) a chamboulé les rôles au sein de l'exécutif, et braqué les projecteurs sur la doctrine de la gauche en matière de communication sur le terrorisme. Jusqu'à présent, le gouvernement avait refusé de dévoiler les dessous des projets d'attentats que la police déjouait. Mais en révélant les quatre gardes à vue lors de sa conférence de presse de mercredi soir, Bernard Cazeneuve a changé de pied. Pour ne pas dire de braquet. Droite et extrême droite ont dénoncé à tout le moins une «surcommunication», voire une «volonté d'appropriation politique» des questions de sécurité, pour masquer le bilan du gouvernement, selon les termes de Frédéric Péchenard, ancien patron de la police nationale et directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy.

Faire «le jeu des terroristes»

Arrivés au pouvoir un mois après l'affaire Merah (lire pages 6-7), les socialistes entament le quinquennat sans vraiment anticiper la recrudescence du risque terroriste, et communiquent peu, voire pas, sur ce thème. Pourtant, depuis début 2013, le gouvernement a procédé à 326 interpellations sur les chefs d'associations de malfaiteurs terroristes, qui ont débouché sur 188 mises en examen, 61 contrôles judiciaires et 126 incarcérations. S'installant au ministère de l'Intérieur au printemps 2014, Bernard Cazeneuve prend d'abord le parti de communiquer beaucoup sur les arrestations. Et puis moins. Les conférences de presse sur l'Etat islamique ou les révélations faisant état de cinq attentats déjoués, parues en décembre, passent relativement inaperçues. Le ministre a passé la consigne : «Pas de communication anxiogène», et se permet même de sermonner Libération le jour ou le journal révèle des projets d'attentat de Mehdi Nemmouche à l'occasion d'un défilé du 14 Juillet. Motif alors invoqué par le ministre : avec ce genre d'informations, «on fait le jeu des terroristes».

Les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher vont tout bousculer. «Avec Charlie, le terrorisme devient l'affaire du pays, plus seulement du ministère de l'Intérieur», résume une source ministérielle, reconnaissant une «inflexion évidente» de la communication gouvernementale à partir de ce moment-là. En avril, l'affaire Sid Ahmed Ghlam - qui aurait projeté d'attaquer des églises de banlieue parisienne - marque un premier changement. Les informations sur le jeune étudiant franco-algérien commencent à s'ébruiter, et l'exécutif décide de mettre le paquet. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve déboulent dans le Val-de-Marne avec une nuée de caméras à leurs basques. «Il est normal d'aller sur terrain le plus vite possible, justifie aujourd'hui un proche du Premier ministre. Il faut marquer de ta présence la solidité et le soutien de l'Etat.»

Contrer les «complotistes»

En contrepoint de cette menace désormais «réelle, crédible et inédite», dixit le Premier ministre, François Hollande cherche depuis six mois à ancrer dans l'esprit des Français qu'ils sont (bien) protégés. Mardi, il a évidemment consacré une large part de son interview du 14 Juillet aux questions de sécurité. Appelant ses compatriotes à ne pas montrer leurs angoisses. «Montrer, c'est céder» aux terroristes, insiste-t-il, promettant que «rien ne sera relâché» sur le front de Vigipirate. «Je n'ose pas dire tous les jours, mais toutes les semaines nous arrêtons, nous empêchons, nous prévenons des actes terroristes, ajoute le Président. Je n'ai pas à faire de conférences de presse pour en informer les Français.» Ce qu'il fera pourtant trente-six heures plus tard, à Marseille, en révélant qu'un acte terroriste «qui aurait pu être produit» a été «prévenu» cette semaine.

Les déclarations présidentielles viennent enrayer le plan com de Cazeneuve et du procureur de la République. Leur conférence de presse, initialement prévue le lendemain matin, est avancée en début de soirée en catastrophe. L'Elysée assume : organiser la communication plutôt que la subir et le faire rapidement, c'est la nouvelle doxa. «Vu la vitesse de développement des théories complotistes, on cherche à montrer qu'on ne cache aucune information essentielle», explique l'entourage de Hollande. «Il faut quand même faire attention à ne pas annoncer chaque semaine qu'une décapitation a été évitée», tempère un autre. Entre trop et trop peu d'informations, «il n'y a pas de bonne solution», concède un conseiller ministériel. «On est pris dans une dialectique compliquée entre ce qu'on dit, ce qu'on cache, ce que les gens veulent savoir et ce qu'ils sont prêts à entendre.»

Pour un proche du chef de l'Etat, ce nouveau «schéma de communication» a au moins deux avantages politiques sérieux : démontrer l'efficacité du travail réalisé par les forces de sécurité et, après le débat sur la loi renseignement, «accréditer le niveau de risque permanent d'attentat». «Dans notre pays, les services sont toujours suspects, abonde le député (PS) Gwendal Rouillard, spécialiste des questions de défense. C'est important de montrer qu'ils fonctionnent bien en mode préventif.» Quitte à compliquer le travail des enquêteurs qui a, lui, besoin de confidentialité.