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Libération
Décryptage

La droite a la mémoire courte

L’opposition reproche au gouvernement de trop communiquer. Elle faisait pourtant de même durant le quinquennat Sarkozy.
publié le 16 juillet 2015 à 19h26

«C'est contradictoire avec toutes les pratiques habituelles, c'est généralement le procureur qui communique.» Eric Ciotti, député Les Républicains (LR) des Alpes-Maritimes, était irrité, jeudi, par les déclarations, la veille, de François Hollande puis Bernard Cazeneuve sur les arrestations de suspects terroristes. Nadine Morano aussi. «Le ministre de l'Intérieur devrait faire preuve de plus de discrétion et de prudence. S'exprimer alors que les personnes sont en garde à vue me semble risqué», a-t-elle déclaré sur France 2.

Poudre. La critique avait déjà été adressée à l'actuel exécutif par ces proches de Nicolas Sarkozy fin avril, après l'arrestation de Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d'avoir voulu attaquer des églises dans le Val-de-Marne. Henri Guaino parlait alors de «surexploitation», de «surdramatisation», à même de produire «une angoisse générale». La démarche de l'exécutif mercredi est-elle «inédite» comme s'en indigne Ciotti ? Pas du tout. Durant le précédent quinquennat, les gouvernements Fillon ont régulièrement annoncé arrestations et démantèlements de filières. La «tradition de ne pas communiquer sur les attentats déjoués», invoquée par le porte-parole de LR, Sébastien Huyghe, ressemble surtout à une légende urbaine exhumée pour trouver un angle d'attaque sur un sujet consensuel, la lutte contre le terrorisme.

Le 11 novembre 2008, un important détachement policier débarque dans le village de Tarnac (Corrèze) et dans plusieurs domiciles à Paris et Rouen. A 8h17 tombe un communiqué de l'Intérieur, époque Michèle Alliot-Marie. La place Beauvau fait état d'une vague d'arrestations dans «un groupe d'ultragauche de la mouvance anarcho-autonome». Deux heures plus tard, «point presse» dans le bureau d'Alliot-Marie. Les éléments de langage ministériels se répandront comme de la poudre dans les médias, comme l'a raconté le journaliste David Dufresne, auteur d'une contre-enquête sur l'affaire dite de Tarnac. Un peu moins d'un an plus tard, la DCRI (devenue la DGSI) interpelle un physicien soupçonné de liens avec Al-Qaeda au Maghreb islamique. Il est placé en garde à vue le 8 octobre 2009 à Lyon. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, est justement sur place. L'occasion est trop belle. L'après-midi même, conférence de presse dans la cour du commissariat : «L'enquête indiquera peut-être que nous avons évité le pire.» Un an plus tard, en novembre 2010, le même révélera qu'un colis piégé à bord d'un avion au Yémen a été désamorcé «in extremis». Et glisse au passage que deux arrestations de suspects jihadistes viennent d'avoir lieu.

Caserne. Mais c'est avec l'affaire Merah que l'exécutif précédent déploiera le dispositif de communication le plus important. Claude Guéant, nouveau ministre de l'Intérieur, s'installe plusieurs jours à Toulouse. Lors du siège, un QG est aménagé dans une caserne toute proche où Guéant intervient régulièrement pour informer les très nombreux journalistes présents, grillant parfois la priorité au procureur de Paris. Quand, quelques jours après l'assaut, un groupe de jihadistes est interpellé, Sarkozy donne des détails en personne. Des kalachnikovs ont été saisies, explique sur Europe 1 le président en campagne, soudain redevenu ministre de l'Intérieur.