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Libération
Éditorial

Séguin, ce prophète !

publié le 16 juillet 2015 à 19h26

«Nous l'avions bien dit !» chante le chœur des antimaastrichiens depuis que la crise grecque a mis au jour l'effrayante fragilité de l'édifice européen. De François Fillon à Henri Guaino, beaucoup affirment que les événements dramatiques des dernières semaines donnent raison à Philippe Séguin, l'homme qui avait mené la campagne du non au référendum de 1992. Après le non grec, le député (LR) du Nord Gérald Darmanin n'hésite pas à saluer «une victoire posthume» de l'ancien maire d'Epinal.

A ceux qui n’étaient pas en âge de l’entendre, il faut conseiller la lecture du discours fleuve prononcé le 5 mai 1992 à la tribune de l’Assemblée. Ne serait-ce que pour découvrir qu’il fut un temps, pas si lointain, où la parole politique savait faire preuve de panache et d’honnêteté intellectuelle. Vingt-trois ans plus tard, il serait exagéré de prétendre que ses prophéties se sont réalisées. Certes, il avait bien vu que les promoteurs de la monnaie unique sous-estimaient les sacrifices et les efforts nécessaires. Mais il affirmait aussi que l’union monétaire débouchait quasi mécaniquement sur une Europe fédérale. Il n’en fut rien. Et les fédéralistes sont fondés à répliquer que c’est précisément pour cette raison que l’Union est au bord de la catastrophe.

Avant tout autre, Séguin a bien vu le caractère irréversible du traité soumis aux Français : «C'est même la première fois qu'un traité est ainsi marqué par la notion d'irréversibilité», révèle-t-il. Difficile de lui donner tort quand il ajoute que Maastricht, «c'est la suppression de toute politique alternative» dès lors que chacun se doit de respecter «des normes budgétaires particulièrement contraignantes». Mais c'est surtout quand il demande comment supporter «l'effort colossal qui devra être consenti pour réduire les écarts immenses» entre les pays susceptibles d'adhérer à l'euro que Séguin appuie où ça fera mal.

Paradoxalement, c'est parce qu'il prend très au sérieux le projet incarné à l'époque par Jacques Delors qu'il affirme que la monnaie unique s'accompagne nécessairement d'un saut fédéraliste. A ses yeux, «l'effort colossal» demandé aux plus fragiles ne pourra être supporté que si la contribution au budget communautaire est décuplée. Cette nécessité budgétaire «engendrera naturellement les organes fédéraux appelés à gérer un gigantesque système centralisé de redistribution», conclut Séguin. On sait qu'il n'en fut rien : la contribution au budget communautaire ne dépasse guère les 2%.

Dans son élan, Séguin se risque à quelques pronostics hasardeux. Ainsi quand il conteste la nécessité de constituer «un grand ensemble intégré» pour peser dans la compétition mondiale. En 1992, il croit pouvoir opposer la Chine et l'Inde, «grands ensembles existants qui périclitent», au Japon, «pays si performant et pourtant si rebelle à tout système qui l'intégrerait». Où l'on voit que Séguin n'était tout de même pas prophète.