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Libération
Récit

Entre l'Elysée et Bercy, du tirage sur l'avenir du CICE

Hollande est partisan d'une évolution du crédit d'impôt créé en 2012 qui se transformerait en mécanisme de baisse des charges. Mais Macron est pour le statu quo, position à laquelle se rallient le Medef et des frondeurs du PS.
François Hollande et le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, à l'Elysée, le 16 juin. (Photo Lionel Bonaventure. AFP)
publié le 19 juillet 2015 à 15h01

Au sommet de l'Etat, se déroule, ces jours-ci, une étrange partie de cartes. Avec une distribution pour le moins étonnante. Dans le premier rôle, François Hollande, l'inventeur du CICE, ce crédit d'impôt de 20 milliards d'euros lancé en novembre 2012 à la suite du rapport Gallois. Or, depuis quelques semaines, le chef de l'Etat réfléchit à transformer son dispositif en un mécanisme de baisse de charges. Dans un souci de lisibilité et de simplification. Plutôt que de disposer d'un CICE et d'un pacte de responsabilité (avec baisse de charges) autant fusionner les deux mécanismes en un seul. Mais face à lui, Hollande fait face à une étrange coalition qui va du Medef, à Bercy, en passant par certains frondeurs du PS. Depuis quelques jours, ministres à Bercy et conseillers à Matignon assurent même que les jeux sont faits. Le CICE ne bougera pas, en tout cas en 2016. «Ça a été en débat mais ce n'est plus d'actualité», certifie un proche de Manuel Valls. Mais du côté de l'Elysée, on assure que rien n'est encore tranché. «L'arbitrage final sera rendu au mois d'août, pas avant. Et par Hollande en personne», dit-on dans l'entourage du chef de l'Etat.

Ces cogitations élyséennes agacent notoirement Bercy. «On ne sera pas prêt en 2016» a tranché le ministre de l'Economie Emmanuel Macron mercredi, lors de son point presse entre un dégagement sur la Grèce et un point d'étape sur la nécessaire régulation de l'économie numérique. «Sur les allégements de charges, ce qui a été décidé sera fait, insiste le ministre. Mais aujourd'hui il faut privilégier la stabilité.» Et son entourage de renvoyer à la parole présidentielle, François Hollande ayant, en novembre 2014, fixé une feuille de route sans ambiguïté. «On va faire le CICE pendant trois ans, avait indiqué le chef de l'Etat sur RTL et TF1. Et après, en 2017, tout ce qui a été mis sur l'allégement du coût du travail, cela sera transféré en baisse de cotisations sociales pérennes.»

«On se rapproche de la cible»

Huit mois plus tard, Bercy entend garder le cap. Argumentaire rôdé à la clé. Primo, pas question de perturber des candidates à la défiscalisation des charges, alors qu'elles ont été lentes à s'approprier le dispositif. Un ministre de Bercy : «Certes au début on s'est planté sur un certain nombre de trucs, mais aujourd'hui ça fonctionne. On a été mauvais sur la com une fois de plus. La droite et le patronat et même quelques camarades ont popularisé l'idée que c'était une usine à gaz mais moi j'ai pris l'habitude de dire aux chefs d'entreprises : "Si votre expert-comptable vous dit que c'est compliqué, changez d'expert-comptable." Aujourd'hui, les gens nous disent que ça marche très bien et nous demande si on va bien le garder.»

Dans une note publiée vendredi, le comité de suivi du CICE confirme : «Au 10 mars 2015, le montant total de la créance [des entreprises sur l'Etat] au titre de 2013 est de 10,7 milliards d'euros. On se rapproche de la cible estimée par l'ACOSS à partir des déclarations sociales des entreprises, soit 12 milliards d'euros, notamment grâce à la prise en compte progressive des entreprises ayant un exercice comptable décalé par rapport à l'année civile.» En clair, ça vient, mais doucement. «Procéder de suite au basculement vers un mécanisme de baisse de charge serait donner l'impression qu'on doute de l'outil que nous avons mis en place il y a un an et demi, insiste un conseiller de Macron. L'important aujourd'hui, c'est de donner un signal de stabilité, de cohérence et de durée.» Bref, l'Elysée est prié de prendre patience.

«Ne pas se précipiter»

Surtout, pour Bercy, pas question de modifier un cap qui commence tout juste à donner quelques résultats ; «Dans l'industrie, le coût du travail est devenu inférieur à celui de l'Allemagne, relève l'entourage de Macron. Sur le premier trimestre 2015, le taux de marge des entreprises s'est redressé de deux points. On est revenu au niveau de 2011 ; on a rompu avec quinze ans de baisse continue !» Quant à l'effet attendu sur l'emploi, «cela devrait se matérialiser à la fin de cette année», promet Bercy. Un avis partagé à la direction du budget : «Si on commence à repatouiller tout ça, on va créer de l'incertitude, là où les entreprises ont besoin de confiance, indique-t-on en interne. Aujourd'hui, on peut seulement prier pour que la montée en charge du CICE accélère les décisions d'embauche des entreprises…»

Ultime argument de Bercy pour convaincre l'Elysée de ne rien bouger. «Si on attend 2017, ce sera l'occasion de remettre en cohérence tous les dispositifs d'allégement de charges existants, insiste un conseiller de Macron. Mais pour décider de ce qu'on fait, on doit savoir quelle entreprise profite de quoi et avec quel impact sur l'investissement, les prix ou l'emploi.» Or, selon le patron de France Stratégie, Jean Pisani-Ferry, de telles données sur l'utilisation individuelle du CICE ne seront pas disponibles avant octobre… D'où la conclusion de Bercy : «Il ne faut pas se précipiter. Il faut travailler à construire un dispositif unique, plus lisible.»

Au PS, pas touche au CICE

Autre front de soutien au CICE, plus surprenant celui-là, le Parti socialiste. Le 27 juillet, au bureau national, les députés Guillaume Bachelay et Jean-Marc Germain vont remettre un rapport sur le prochain budget. Pour infléchir la politique économique en faveur de la demande, ils tablent sur une éventuelle réorientation vers les ménages et les collectivités locales des 15 milliards encore à débloquer du pacte de responsabilité. En revanche, pas touche au CICE. «Je ne suis pas pour un basculement du CICE, indique l'aubryste Jean-Marc Germain. Il faut laisser le dispositif monter en charge, puis l'affiner au fil du temps de sorte à ce que l'aide fiscale se concentre sur les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale ou, par exemple, sur celles qui contribuent au verdissement de notre économie. Ce sera alors un bon outil pour les industriels, à l'instar du Crédit d'impôt recherche, dont on ne peut nier l'avantage compétitif qu'il nous a donné sur nos voisins.»

L'Elysée connaît tous ces arguments par cœur. Mais le calendrier de Hollande a une autre contrainte, à la fois économique et très politique : il lui faut pouvoir afficher une baisse du chômage le plus rapidement possible. Or, la transformation du CICE en baisse de charges, aurait un effet pour le moins miraculeux : d'un seul coup, l'Etat pourrait récupérer entre 4 et 5 milliards d'euros. Comment ? Avec une baisse des charges sociales, les bénéfices des entreprises augmentent d'autant et, avec eux, les rentrées fiscales de l'impôt sur les sociétés (IS). Voilà pourquoi le Medef est lui aussi sur une ligne «pas touche au CICE». Mais, à l'Elysée, on réfléchit déjà à comment utiliser cette potentielle petite cagnotte : en créant, par exemple, de nouveaux dispositifs incitatifs à l'embauche, notamment pour les PME. Histoire d'inverser une bonne fois pour toutes cette maudite courbe du chômage.