Nombreux, bruyants et en colère. Mercredi midi, environ 2 000 buralistes sont venus de toute la France aux abords du jardin du Luxembourg, dans la capitale, alors que la commission des affaires sociales du Sénat débattait sur l'instauration d'un paquet de cigarettes neutre et uniformisé. Dans un concert tonitruant de pétards et de cornes de brume, l'instigatrice du projet, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, en a pris pour son grade. «La situation est dramatique pour nous, elle se trompe de cible, lance Pascal Montredon, président de la Confédération des buralistes. Nous voulons être associés à la baisse du tabagisme, mais là, ça n'est pas de la prévention que ça va engendrer, c'est de la concurrence déloyale !» Les manifestants n'ont que ce mot à la bouche : le marché parallèle, une «véritable gangrène pour le pays». Avec le paquet neutre, selon eux, les acheteurs vont se tourner encore plus vers les autres pays européens. Contrebande ou importation légale par des particuliers, ce marché représente déjà 26,3 % de la consommation totale, d'après une étude du cabinet KPMG.
Les commerçants installés aux frontières, particulièrement de l'Espagne et du Luxembourg, sont les premiers concernés par le marché parallèle. C'est le cas d'une buraliste qui tient son PMU à Hayange (Moselle), à une vingtaine de kilomètres du Grand-Duché. «Là-bas, pour deux cartouches achetées, vous en avez une troisième gratuite. Et le paquet coûte environ 5 euros… Autant vous dire que les jeunes y remplissent leurs coffres ! S'emporte-t-elle. En Moselle, des dizaines de tabacs ont dû fermer ces dernières années.» A ses côtés, le président de la chambre syndicale des débitants de tabac du Vaucluse, Gille Garnier, acquiesce abondamment. Il fustige une réforme «hypocrite» et enchaîne les amabilités envers la ministre, lui qui a son commerce à mi-chemin entre l'Italie et l'Espagne. La solution, il l'a : «Si le gouvernement considère que la cigarette est dangereuse, il n'a qu'a l'interdire, on ne l'empêchera pas. Mais dans ce cas-là, il faudra qu'ils nous rachètent, parce que ça représente 50 % de notre chiffre d'affaires.» Peu probable, quand la vente de tabac rapporte 14 milliards de recettes fiscales à l'Etat chaque année.
Les sénateurs, leur «dernier espoir»
Sur les panneaux et toutes les lèvres, la proposition de faire monter le prix du paquet de cigarette à 10 euros, initiée par la députée PS Michèle Delaunay, n'est pas oubliée. «Avec un prix pareil, tous nos clients vont disparaître, on n'aura plus qu'à mettre la clé sous la porte», continue Gilles Garnier, écarlate. Pour Pascal Montredon, il n'y a pas de solution alternative : «Les missions de service public qui nous avaient été promises seront plutôt confiées aux bureaux de poste. Et la vente de timbres passeport va pouvoir se faire sur Internet. On va servir à quoi ?» s'interroge-t-il. En retrait, la voix cassée à force d'avoir hurlé son mécontentement, Frédéric Vergne le promet : «On ne rigole plus maintenant, c'est fini. On est nombreux, on peut être puissants et on ne va pas se laisser faire.» Déjà mercredi matin, le siège du PS, rue de Solférino, a fait les frais de cette colère quand plusieurs tonnes de carottes, emblème des buralistes, se sont déversées à ses portes.
Leur «dernier espoir», ce sont les sénateurs. Jean-Baptiste Lemoyne, élu LR de l'Yonne, promet de les soutenir, juché sur le camion guidant la manifestation. Epuisé, il a couru pour faire l'aller-retour de la Chambre à la place Edmond-Rostand, dans le VIe arrondissement de Paris, et se garantir un tonnerre de vivats.
Le Palais du Luxembourg, dont la majorité est à droite, a en effet supprimé mercredi après-midi en commission le paquet neutre du projet de loi santé. «Les buralistes sont souvent le dernier point de commerce de proximité en zones rurales. On a besoin d'eux et on ne peut pas prendre des mesures à l'aveugle, sans étude d'impact», explique-t-il après être descendu, au prix d'une acrobatie, de son perchoir. La commission des affaires sociales a adopté à la place un amendement proposant de suivre la directive européenne, qui prévoit d'accroître la taille des avertissements sanitaires sur les paquets, a indiqué à l'AFP un de ses membres. Le paquet neutre, que la France compte instaurer en mai 2016, pourrait toutefois être réintroduit en séance, en septembre, à la faveur d'un autre amendement du gouvernement ou de la gauche.