L'analyse est aussi sincère que concise. La crise des éleveurs, en plein cœur de l'été, «c'est chaud» pour l'exécutif, lâche un proche du Président qui, tout en renouvelant son soutien au ministre de l'Agriculture à tout bout de champ, a pris la direction des opérations de déminage depuis le début de la semaine. Soucieux de ne pas laisser le mouvement faire tache d'huile, le chef de l'Etat a commencé par accélérer la sortie du plan d'urgence de 600 millions d'euros, présenté mercredi, avant d'ajouter une rencontre avec les syndicats d'agriculteurs à sa visite en Bourgogne jeudi. En plus des mesures d'urgence pour régler les problèmes de trésorerie des exploitants, alléger leur dette et repousser leurs échéances fiscales, François Hollande a promis «à la rentrée» de nouvelles négociations pour améliorer la compétitivité des filières d'élevage et de production de lait et pour «alléger les contraintes administratives trop lourdes, qui deviennent même insupportables».
Dans sa déclaration à la presse à Dijon, qui n'était assortie d'aucune question, le Président a également confirmé qu'il voulait améliorer l'approvisionnement local des cantines françaises, ces circuits courts chers à la gauche. Pour les cantines qui relèvent de l'Etat, a-t-il assuré, il y aura «révision de clauses immédiatement» afin de lancer un mouvement «achetez français» qui ne dit pas son nom pour ne pas tomber sous le coup des règles de la concurrence édictées par les instances européennes.
«Communication dangereuse»
Loin d'être aussi emblématique que le sauvetage de la Grèce, la partie est en effet délicate à jouer avec Bruxelles. «Tout ce qu'on est en train d'annoncer dans la concurrence, le photovoltaique ou la méthanisation, l'Union européenne va l'empêcher», craint un conseiller élyséen. Un boulevard pour le Front national. De plus, faire campagne pour une hausse des prix (certes limitée à ceux de la viande) alors que le chômage ne baisse pas et que les Français ne voient toujours pas les effets de la reprise paraît un peu compliqué pour le gouvernement. «La communication choisie par Le Foll la semaine dernière, qui misait tout sur "faites monter les prix", c'était dangereux», estime ainsi un proche du chef de l'Etat. Depuis, histoire de faire retomber la pression et de séparer les combattants, le ministre de l'Agriculture s'attache à souligner dans chacune de ses interventions que «chaque filière a ses problèmes».
Alors que le mouvement des éleveurs semble refluer dans l'ouest de la France, de nouveaux foyers de contestation sont nés mercredi et jeudi, dans le centre et le sud-est. «La FNSEA a craqué une allumette et ne sait pas comment éteindre l'incendie. Ils sont totalement dépassés par la base», tempête un autre conseiller du chef de l'Etat. Jeudi matin, François Hollande a longuement parlé avec Xavier Beulin, le président de la FNSEA, mais rien n'a filtré de l'entretien. A l'Elysée, on se dit «attentif, pas inquiet» mais la crise a été au cœur de la réunion de cabinet de jeudi. C'est que, politiquement et médiatiquement, la situation pourrait virer au désastre avec des face-à-face entre vacanciers et éleveurs pendant les prochains chassés-croisés.
Jeudi matin, Manuel Valls a appelé les agriculteurs à ne pas «pénaliser» le pays mais ni lui ni le chef de l'Etat n'ont appelé clairement à la levée des barrages ou dénoncé les actions parfois violentes des manifestants. Pas plus qu'ils ne veulent trop braquer la grande distribution, dans l'espoir de voir l'accord interprofessionnel du 17 juin enfin appliqué et les prix enfin remonter. En revanche, toute la majorité donne de la voix contre une droite qu'elle accuse de «jouer avec le feu» en attisant la colère des éleveurs.
Bruno Le Maire «faisait la sieste cet hiver quand la crise a commencé, il a pris le temps de se réveiller et de s'étirer avant d'aller faire un tour sur les barrages cet été», dénonce un ministre qui épingle la «responsabilité» de l'ancien ministre de l'Agriculture qui a «signé la fin des quotas laitiers». Le gouvernement ne décolère pas contre la droite «qui joue avec le feu». L'apparition du président de la Corrèze, Pascal Coste, sur les barrages mercredi soir et son message de soutien du conseil départemental ont bien été enregistrés à l'Elysée à l'heure où les premiers incidents entre agriculteurs et automobilistes sont recensés.
Un volet exportations
«Les agriculteurs ne devraient pas pousser le bouchon trop loin : s'ils bloquent les routes lors des grands départs, ils vont vite devenir très impopulaires», tente de se rassurer une source ministérielle. Mais le Tour de France étant terminé, le bras de fer gouvernement-paysans «pourrait être le nouveau feuilleton de l'été», prédit un parlementaire socialiste. Surtout qu'à cause de la météo caniculaire, les travaux dans les champs ont pris beaucoup d'avance. «Il ne nous a pas échappé que les foins ont été rentrés», fait remarquer un conseiller présidentiel. Les agriculteurs ont donc tout leur temps, contrairement au gouvernement.
Le plan dévoilé mercredi contient un important volet sur les exportations et, dès jeudi, les ministres se sont égayés aux quatre coins du monde pour aller «solliciter directement» des pays acheteurs de viande française afin que «nos productions soient davantage valorisées», dixit Hollande. Harlem Désir (Affaires européennes) était jeudi en Grèce, grande consommatrice de bœuf français avant l'austérité. Mathias Fekl (Commerce extérieur) et Martine Pinville (Commerce) doivent également participer à cette campagne de com au sommet, en Turquie, au Liban ou dans le Maghreb.
Bonus :
[ François Hollande au Clos de Vougeot ]
par Laurent Troude