Twitter est-il responsable de l'emballement de l'affaire du bikini de Reims? Tentant et pratique en effet de faire porter le chapeau au réseau social: on évite ainsi de regarder ses erreurs en face et de pointer les fautes, collectives et individuelles. Commençons par les erreurs. Avant tout, une violente bagarre entre jeunes femmes racontée dans un quotidien local — de façon «maladroite et hâtive», comme le reconnaîtra lundi ce même journal. Nous sommes samedi. Il contient tous les mots pour faire bouillir la marmite à fantasme: on n'est plus à Reims, mais à Raqqa, sous contrôle des nervis de l'Etat islamique et de «sa police religieuse». A partir de là, la diffusion de cet article va dépasser les frontières de la Marne. (Vous avez vu, on n'a pas encore parlé de Twitter).
Repris par ce qu'on appelle la fachosphère, toujours prête à faire appel à l'intelligence des Français et à souffler sur les braises, l'article de l'Union va doucement infuser sur Internet, via notamment les comptes Twitter (voilà, on y vient) des petits soldats de l'extrême droite. Sa diffusion aurait pu s'arrêter là, comme cela arrive souvent. Mais les journalistes et les politiques sont obsédés par Twitter alors que leur utilisation du réseau «concerne une toute petite sphère au capital culturel et politique élevé», comme l'explique le sociologue Dominique Cardon.
Pour que l'affaire de Reims prenne sa dimension de bombe incendiaire, il faut deux autres ingrédients : l'intervention des politiques et des médias. C'est ce qui s'est passé samedi. L'article de l'Union est repris par tout le monde ou presque, avec plus ou moins de précaution (1). Quand un politique comme Eric Ciotti tire, via Twitter, une lecture plus que hâtive des faits, il qualifie encore davantage le contenu et «autorise» alors des médias à abolir totalement les digues de la prudence. Mais il ne fait que suivre l'emballement médiatique.
Malheureusement, quand le mal est fait, c’est toujours plus compliqué de réparer. Et les tweets et les articles qui refroidissent les ardeurs sont beaucoup moins viraux que ceux qui soufflent sur les incendies. Dans une société à cran sur les sujets identitaires, pas la peine d’en rajouter. Préférons un peu d’introspection, qu’on soit journalistes ou politiques, avant de chercher des boucs émissaires faciles, qu’ils soient citoyens et/ou twittos.
(1) Pas Libération, ni Le Monde ou l'AFP.