Revoilà l'enquête sur les sondages de l'Elysée, époque Nicolas Sarkozy. Deux anciens conseillers de l'ex-président de la République, Patrick Buisson et Pierre Giacometti, étaient entendus ce mercredi matin par les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), comme l'a révélé Europe 1. Le premier a ensuite été mis en examen pour recel de favoritisme, abus de bien sociaux et détournements de fonds publics par un particulier, a rapporté l'AFP en début d'après-midi. Le juge d'instruction Serge Tournaire poursuit ses investigations sur d'éventuels faits de «favoritisme», de «détournements de fonds publics» et de complicité concernant des marchés conclus alors entre l'Elysée et neuf instituts de sondage, dont les sociétés Publifact et Giacometti-Péron. Le point sur ce dossier qui traîne depuis six ans.
L’affaire des sondages de l’Elysée : qu’est-ce que c’est ?
La polémique a débuté en 2009, mais l'affaire couvre tout le quinquennat 2007-2012. C'est la Cour des comptes qui, la première, s'est étonnée d'une convention signée le 1er juin 2007, un mois après la victoire de Nicolas Sarkozy, entre l'Elysée et le cabinet de Patrick Buisson, «pour un coût avoisinant 1,5 million d'euros». Dans leur rapport, les contrôleurs de la Cour relèvent qu'«aucune des possibilités offertes par le code des marchés public n'a été appliquée». Cette enquête d'opinion ne sera pas la seule confiée au conseiller opinion du Président, son bras droit maurrassien : pendant trois ans, le seul Patrick Buisson a touché plus de 3 millions d'euros à travers sa société Publifact pour ses activités de «conseils, reporting, commentaires sur l'évolution de l'opinion publique». Accro aux sondages, Nicolas Sarkozy en a commandé des centaines. Pour plus de 10 millions d'euros, selon le calcul des policiers de la BRDE.
Ces conseils en opinion facturés à l’Elysée sont-ils clean ?
Ce sont d’abord leurs conditions de commande qui attirent l’attention des juges. Certains contrats sont signés sans appel d’offres ni mise en concurrence. D’autres sont payés au prix fort par l’Elysée mais sont identiques à ceux publiés dans la presse, laissant soupçonner une double facturation.
Par ailleurs, si certaines enquêtes testent l’opinion sur tel point de la politique menée avant le dépôt d’un projet de loi, d’autres portent sur des sujets curieux, personnels ou stratégiques. Il s’agit de connaître l’opinion des Français sur la relation du Président avec Carla Bruni, sur la grossesse de Rachida Dati ou sur les éventuels concurrents du chef de l’Etat en vue de la présidentielle de 2012… Outre Buisson, Giacometti profite aussi du tuyau. Le sondeur a récupéré plus de 2,5 millions d’euros entre 2008 et 2012, via sa société Giacometti-Péron.
Où en est l’enquête ?
Avant ces deux bénéficiaires des contrats facturés à l’Elysée, c’est la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy qui avait été entendue début juin, notamment Claude Guéant et Xavier Musca qui se sont succédé au poste de secrétaire général de la présidence de la République, ainsi qu’Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet. C’est elle qui a signé les contrats litigieux avec Patrick Buisson, dont la convention de juin 2007. Aucune mise en examen n’avait été prononcée à l’issue de ces gardes à vue.
En avril 2013, le bureau et le domicile parisien de Patrick Buisson avaient déjà été perquisitionnés. Ce mercredi, il s'est rendu «au pôle financier pour être entendu chez le juge sous le statut de témoin assisté», selon son avocat, Me Gilles-William Goldnadel. Pierre Giacometti, lui, a été placé en garde à vue dans les locaux de la BRDE.
Dans cette affaire, Anticor avait porté plainte dès février 2010. Mais l’enquête n’a pu débuter que fin 2012, après une longue bataille juridique autour de l’immunité du chef de l’Etat et, par répercussion, de ses conseillers : la cour d’appel de Paris avait craint que les juges ne remontent jusqu’au Président et porté atteinte à son statut juridique particulier. Par la suite, les investigations ont été étendues aux contrats d’opinion commandés par le gouvernement Fillon, grâce à une deuxième plainte de l’association de lutte contre la corruption. Contrats qui laissent eux aussi entrevoir des soupçons de favoritisme et de détournement de fonds publics.