Manuel Valls prépare 2017. Il y a moins d'un an, l'assertion aurait fait bondir les trois quarts des socialistes. Mais l'hiver et le printemps, entre attentats, menaces internationales et montée du Front national, ont mis tout le monde plus ou moins d'équerre de l'Elysée à l'Assemblée. «Loyauté et action», c'est le mantra bidouillé par le Premier ministre quand on l'interroge sur son rapport au chef de l'Etat et sur les deux années qui séparent le couple exécutif de la prochaine présidentielle. Vu les sept mois que la France vient de vivre, «la loyauté institutionnelle est devenue réelle» entre François Hollande et Manuel Valls, confirme un conseiller du second.
Entre les deux hommes, les liens se sont resserrés au point, parfois, de donner le sentiment d'avoir inversé leurs rôles. Comme si Hollande s'était «vallsisé», jonglant désormais naturellement avec les notions de patrie, de nation et d'identité, quand Valls se serait «hollandisé», prenant très souvent la parole mais n'imprimant plus sa marque, sous le poids cumulé des institutions de la Ve République et de sa volonté de ne plus transgresser. Quel intérêt à vouloir que la gauche l'emporte en 2017 alors qu'un échec de Hollande accélérerait la recomposition de la gauche, et peut-être dans la foulée sa marche vers l'Elysée, qu'il prépare patiemment depuis trente ans ? «L'intérêt du pays», s'exclame Valls quand il est titillé sur sa stratégie.
«Le Premier ministre cherchant à coiffer le président au poteau pour se présenter, ça n'existe dans aucun film de la Ve», décode le député Pascal Popelin, proche du locataire de Matignon. Le mythe d'un Valls, sondages à la main, qui explique à Hollande en décembre 2016 que celui-ci n'est pas en situation de l'emporter, ni même de se présenter, continue à hanter l'esprit (chagrin) de certains très proches du Président. Mais pour le ministre de la Ville, Patrick Kanner, les deux hommes sont «dans le même bateau» : «C'est le pile et le face de la même pièce, ils sont collés. La réussite de Hollande sera mise à l'actif de Valls s'il est réélu en 2017.» Et si le président sortant perd, son ex-Premier ministre aura fait ce qu'il faut pour être incontournable au Parti socialiste et à gauche.
Début juin, après le congrès de Poitiers, le premier cercle vallsiste a donc enjoint son chef de pousser un poil plus ses pions au sein du PS. Un déjeuner entier y a même été consacré. Après avoir grenouillé dans l'appareil socialiste pendant des années au début de sa carrière, Valls a choisi, depuis le référendum sur la Constitution européenne en 2005, de se construire à l'extérieur, par rapport à l'opinion et non vis-à-vis de ses camarades. Mais là, «on l'a convaincu qu'un nouveau Parti socialiste allait naître et qu'il était indispensable de prendre des positions», explique un des convives. D'où, au final, des vallsistes à quelques postes clés, notamment le député Carlos Da Silva chargé des fédérations et adhésions. Mais rien de plus. «Un courant l'étriquerait, estime Popelin. Il ne va pas construire un modèle dépassé, excluant» alors qu'il est chef de la majorité.
«Manque de temps et actualité chargée», c'est l'excuse avancée par Manuel Valls pour expliquer l'absence de son «rendez-vous républicain» en Camargue cette année. En 2013, son premier raout de Vauvert (Gard) avait grillé la politesse à Hollande, juste avant le 14-Juillet. Et l'an dernier, quasiment cent jours après sa nomination à Matignon, son laïus sur fond de taureaux et de roseaux avait pris une tournure bien plus conciliante envers le chef de l'Etat. Au beau milieu de son plaidoyer pour la «réforme», le Premier ministre avait quand même réussi à glisser qu'on le trouverait«ici» chaque été jusqu'en 2017. Mais 2015 sera donc une année sans. Etant donné la situation nationale et internationale, justifie Valls, «personne ne comprendrait» qu'il poursuive la mise en scène de sa singularité, qu'il ajoute un petit caillou très personnel sur la route de la présidentielle : «Ma voix est singulière en soi, donc utile et complémentaire» à celle du chef de l'Etat. Fermez le ban.
Pas de Camargue avant le dernier Conseil des ministres vendredi et ses quinze petits jours de vacances familiales en Provence, mais un programme bien chargé pour la rentrée, laquelle devrait être dominée par les questions européennes, l'Elysée préparant de nouvelles propositions d'intégration. Charge à Matignon de piloter un séminaire gouvernemental mi-août. Par ailleurs, peu enclin à de nouvelles baisses d'impôts, Valls entend monter les revendications en faveur d'un geste pour le pouvoir d'achat. «Il y a de la marge pour une mesure à destination des ménages», estime un de ses proches, sans plus de détail.
Dès septembre, la conférence climat et les régionales domineront l'agenda. Valls veut aller «partout», faire une campagne «positive, pas sur le reculoir et uniquement contre», avec des thèmes dictés par «le bloc réactionnaire». Il faut aussi réfléchir aux réformes promises par Hollande pour 2016 - surtout institutionnelles - sans empiéter sur l'éventuel programme du candidat socialiste en 2017. «Pas de texte pour la beauté du texte : des lois qui changent la France», a demandé Valls à ses collaborateurs. Face aux conservateurs et aux populistes, «si vous n'incarnez pas le mouvement, vous êtes mort», traduit Da Silva.
Au sens propre, le Premier ministre a donné dans le mouvement pur en juillet, bourlinguant de l'île d'Ouessant aux pics de la Meije en passant par la citadelle de Besançon et les champs du Gers mercredi. Autant de haltes pour rôder son argumentaire «proximité et protection» et déclamer son amour de la France. Requinqué par l'air breton, il se fait lyrique à Lampaul, l'unique village d'Ouessant : «Ici, le cœur de la France bat au rythme des vagues, qui nous invitent à aller plus loin et plus vite.» Citius, altius, fortius. La devise olympique et marque de fabrique de Valls a pourtant été remisée depuis les attentats de janvier. Terminé, les cartes postales idéologiques envoyées à son camp au fil de l'automne dernier, du procès de la «gauche passéiste» au coup de sonde sur les allocations chômage et le code du travail. Il y a bien eu «l'apartheid social, ethnique et territorial» dénoncé après les attaques contre Charlie et l'Hyper Cacher. Mais aujourd'hui, ce sont d'autres - Jean-Marie Le Guen ou Emmanuel Macron - qui portent les idées les plus libérales au sein du gouvernement, sur les «freins» qu'il faudrait desserrer. «Nous, ça nous va très bien d'avoir une aile droite», rigole un proche de Valls, qui, par ricochet, se vit en défenseur central.
Aux antipodes de «sa» gauche teintée de social-libéralisme, l'ancien rocardien s'est pris de passion pour Aléxis Tsípras, dont il a suivi l'ascension au point de pouvoir citer les débats du congrès fondateur de Syriza à Thessalonique. Le rapport au pouvoir (et au peuple) du Premier ministre grec le fascine. Le référendum qui a braqué toute l'Union européenne ? «Il cherche une légitimité à chaque étape, une leçon», juge Valls. Après le remaniement de l'été dernier et les attentats de Paris, la crise grecque a encore rapproché Hollande et Valls. Le premier au front, le deuxième gérant le back-office à Paris. Le Président «s'est hissé au rang de l'histoire», a osé le Premier ministre une fois le sauvetage d'Athènes acquis face à une zone euro hostile. Hollande lui a rendu le compliment le 14 juillet, assurant que Valls avait «vocation à rester» jusqu'en 2017.
Depuis seize mois, la symbiose avec Hollande s'est imposée. «L'action gouvernementale rapproche plus que la complicité», confie Valls. Une pierre dans le jardin de Jean-Marc Ayrault. «Valls complète Hollande, c'est ce qui rend sa position d'autant plus forte», veut croire un de leurs amis communs. Les deux têtes de l'exécutif ne peuvent pas se payer le luxe d'une crise ouverte même s'ils l'ont frôlée en juin lors du «Barçagate», l'aller-retour très personnel du Premier ministre à Berlin pour assister à un match de son équipe de foot fétiche en plein congrès du PS et avec un Falcon officiel dans lequel avaient pris place deux de ses fils. Après son mea culpa, tardif mais répété trois fois, Valls - c'est nouveau - revendique le droit à l'erreur. «Nous ne sommes pas des machines, personne ne peut être parfait et on peut se tromper», a-t-il concédé devant une centaine de jeunes réunis à Besançon début juillet. Mais, a-t-il pris soin d'ajouter, «il faut toujours tenter».