La droite se passionne pour le «mammouth». Après François Fillon et Bruno Le Maire, Alain Juppé présente aujourd’hui, dans un ouvrage, ses pistes pour une réforme de l’école. De son côté, Nicolas Sarkozy confiait ce mardi à Eric Woerth le soin d’installer le groupe de travail censé écrire le projet éducatif de son parti, Les Républicains (LR).
A quinze mois de la primaire qui départagera les candidats de la droite et du centre, l’éducation s’impose donc comme le premier terrain de jeu de cette compétition. Tous les leaders officiellement ou officieusement en piste s’accordent à considérer que cela devra être la priorité des priorités. A en juger par les premières propositions mises sur la table, l’école doit s’attendre, en cas d’alternance, à une véritable révolution. Fidèles à la doctrine de la droite libérale, tous les candidats se déclarent favorables à une plus grande autonomie des établissements scolaires. Une évolution qui s’accompagnerait de profondes modifications dans l’organisation du temps scolaire. De quoi bouleverser la définition même du métier d’enseignant.
S'ils s'accordent à considérer que la priorité doit être donnée à la réforme de l'école primaire, Juppé, Fillon et Le Maire sont loin d'être à l'unisson. En attendant d'autres dossiers, plus explosifs encore (immigration, justice), le chantier scolaire offre à chacun l'occasion d'affirmer son positionnement politique. Tout à son souci d'«apaiser» et de «rassembler» jusqu'aux déçus de François Hollande, le maire de Bordeaux s'abstient délibérément d'agiter les chiffons rouges qui passionnent le débat gauche-droite sans faire avancer la cause de la réforme. A l'inverse de ses concurrents, il ne se déchaîne pas contre la réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem. Il ne cultive pas non plus la nostalgie d'un ordre ancien qui célébrait l'autorité et le mérite. Bruno Le Maire, lui, a choisi de ne pas faire dans la dentelle en avançant des propositions franchement conservatrices. Fillon reste fidèle à son créneau du parler-vrai tout en s'affichant clairement à droite.
Quant à Sarkozy, il jure que le temps de la présidentielle n’est pas venu pour lui et que c’est donc en sa qualité de chef de parti désintéressé et rassembleur qu’il fait plancher ses lieutenants sur un projet pour 2017.
Sarkozy joue la carte du… collectif
La campagne pour la primaire de novembre 2016 ? Nicolas Sarkozy fait savoir qu'il n'a pas le temps, lui, de «s'embarquer dans des stratégies individuelles». «Ma responsabilité, c'est d'emmener le collectif à la victoire. Le moment des décisions personnelles n'est pas venu», a confié le président du parti Les Républicains, le 6 août à Valeurs Actuelles.
Pour contrer ses concurrents dans la course à la présidentielle, Sarkozy ne perd pas une occasion de rappeler que le seul projet d’alternance qui compte à ses yeux est celui du parti. Il en a confié l’élaboration à l’ex-filloniste Eric Woerth qui installait, mardi, le groupe de travail chargé d’écrire le programme sur l’éducation. L’utilité de cet exercice est pourtant loin d’être évident puisque ni Juppé, ni Fillon, ni Le Maire ne se sentent liés par les propositions du parti. Sarkozy pourra difficilement leur en tenir rigueur : en 2012, il avait zappé le projet de l’UMP élaboré par Le Maire.
Sur l’éducation, le candidat Sarkozy prônait déjà la polyvalence des enseignants de collège. Il avançait par ailleurs, mais timidement, vers une remise en cause du collège unique avec de possibles spécialisations vers la voie professionnelle dès la quatrième. Sur ce point, Le Maire va aujourd’hui beaucoup plus loin. La palette des propositions avancée par les différents prétendants à la primaire est déjà si large que l’on voit mal comment Sarkozy pourra se singulariser. Sauf à jouer l’homme de la synthèse. Ce qui ne lui ressemble guère.
Juppé se pose en maître de la réforme consensuelle
Avec l’essai (1) qui paraît ce mercredi, le maire de Bordeaux livre le premier ouvrage d’une série qui sera la base de son projet présidentiel. Début 2016, le prochain portera sur les questions régaliennes et le suivant, mi-2016, sur l’économie. Un dernier opus, quelques semaines avant la primaire de novembre 2016, abordera la politique étrangère.
S'il commence par l'éducation, c'est qu'il veut en faire «la mère des réformes». Mardi, au 20 heures de TF1, Juppé a présenté ses propositions inspirées par une méthode participative, avec rencontres de nombreux experts et lecture de centaines de contributions proposées par des enseignants et des parents. Il ne s'agit, précise-t-il, que «d'orientations» qui devront être transformées en «programme d'action» par «la personne pressentie pour occuper la fonction de ministre de l'Education nationale». Renonçant à la facilité des «coups de menton», Juppé laisse à ses concurrents le soin de faire à la gauche le procès du collège unique et de son corollaire, le «nivellement par le bas». Il se dit même «plutôt séduit» par le développement de l'interdisciplinarité prôné par la dernière réforme du collège.
Mais selon lui, la priorité est ailleurs. Parce que «le retard accumulé à la fin de la maternelle n'est en général jamais rattrapé», il propose de concentrer les moyens sur les classes de maternelle et de CP. L'objectif : viser «la norme des pays les mieux classés de l'OCDE», tant sur le salaire des enseignants que sur le taux d'encadrement. Cela serait financé par des redéploiements : réduction du temps d'enseignement dans le secondaire (il est en France 10 % au-dessus du niveau moyen des pays de l'OCDE), simplification du système des options, réduction du nombre de matières au bac, limitation des redoublements. Très favorable aux expérimentations, Juppé pousse très loin l'autonomie des équipes pédagogiques : pilotage des établissements confié à un «conseil éducatif» qui aurait son mot à dire sur le choix du directeur, possibilité donnée aux collèges et lycées de gérer comme ils l'entendent «la totalité de leur dotation horaire globale». On n'est pas loin de l'autogestion…
Tout en jugeant irréalisables les promesses de hausses de salaire, la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, a salué «la modération» de son projet et s'est dite «agréablement surprise», le FN n'y voyant qu'un prolongement de «la longue litanie des renoncements».
Fillon prépare un projet de société
«Parce que tout commence par là», l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a consacré à l'éducation le premier de ses nombreux «rendez-vous thématiques».
En avril 2014, alors que ni Sarkozy ni Juppé n'étaient candidats à la primaire, Fillon déclinait ses priorités pour l'école. Comme Juppé, il considère que l'effort doit porter sur l'école primaire. Pour marquer cette priorité, il propose d'avancer symboliquement à 5 ans, et non plus 6, l'âge de la scolarité obligatoire et de l'apprentissage de la lecture. «Une nécessité absolue», selon lui, pour réduire le taux d'illettrisme à l'entrée en sixième. Autre point commun aux projets des deux ex-Premiers ministres, l'instauration de la «bivalence» pour les enseignants de sixième et de cinquième, de sorte que les élèves de ces classes n'aient pas plus de cinq professeurs. Dans le même esprit, il entend imposer la réforme du bac (limité à quatre épreuves) qu'il avait vainement tenté de faire passer en 2004, alors qu'il était ministre de l'Education de Jacques Chirac.
S'il estime, comme son aîné Juppé, que les professeurs doivent être mieux rémunérés, Fillon se garde bien de promettre une augmentation uniforme dès 2017. Il veut développer une part «mérite» dans le salaire. Clairement ancré à droite, Fillon reste un ardent partisan du retour de l'uniforme dans les établissements scolaires. Il ne croit guère aux vertus de l'interdisciplinarité. Sans être le plus virulent des responsables de l'ex-UMP, il a eu, en mai, des mots très durs sur la réforme «bâclée» et «médiocre» portée par l'actuelle ministre, Najat Vallaud-Belkacem.
Ce mercredi, le député de Paris fait sa rentrée dans la Sarthe, à l'abbaye de Rouez-en-Champagne. Il présentera à ses amis un «manifeste pour la France», qui reprend les propositions développées depuis le printemps 2014. Intitulé Osons dire, osons faire, ce texte dessinerait, selon son lieutenant Jérôme Chartier, rien de moins qu'un «projet de société». Plus d'une cinquantaine de parlementaires LR sont annoncés au rendez-vous annuel des fillonistes.
Nullement découragé par les sondages qui le placent très loin derrière Juppé et Sarkozy dans la course à la candidature pour 2017, le pudique Fillon publiera chez Albin Michel un livre que son entourage qualifie de «personnel». Il devrait y être question, notamment, de sa relation compliquée avec l'ancien chef de l'Etat.
Le Maire veut «sortir de Bourdieu»
A la pointe de la croisade contre la réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem, le député de l’Eure en a profité pour marquer son territoire, sur la politique éducative. Au point qu’il sera difficile, même pour un Sarkozy, de le déborder sur sa droite.
Dans un entretien à Libération, Bruno Le Maire avait prôné l'abandon du collège unique et la construction d'un «collège diversifié» dans lequel des options professionalisantes seraient proposées dès la sixième.
Il avait par ailleurs proposé la fusion des instituteurs et des enseignants de collège dans un corps unique de professeurs polyvalents, encadrant toute la scolarité obligatoire du CP jusqu'à la troisième. Selon lui, ses mesures radicales devaient permettre d'en finir avec le «nivellement par le bas» dont la gauche serait spécifiquement responsable.
Assumant toutes les conséquences de son refus du collège unique, Le Maire, décomplexé, va jusqu'à recommander l'abandon de la deuxième langue obligatoire au collège : «Nous avons des jeunes en classe de troisième qui sont incapables d'aligner deux phrases correctes en français. Ces enfants sont condamnés à l'échec, parce que nous ne leur avons pas donné la maîtrise des savoirs fondamentaux.» Major de l'agrégation de lettres, l'ex-ministre de l'Agriculture affirme que la droite doit «sortir de Bourdieu» (sic) et renoncer une fois pour toutes à «l'obsession» d'amener au bac 80 % de chaque classe d'âge.
(1) Mes chemins pour l'école, Lattès, 12 €.