S'il a largement navré à gauche en étant ce week-end l'invité d'honneur du souverainiste réactionnaire Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Pierre Chevènement n'est pas Jacques Sapir (1). Quand l'économiste issu de la gauche europhobe et poutinolâtre inclut le FN dans le nouveau front qu'il appelle à constituer au nom du combat supérieur contre la monnaie unique (et pour le plus grand bonheur de Marine Le Pen), l'ancien ministre de François Mitterrand et soutien de Ségolène Royal en 2007 réaffirme, lui, en républicain jusqu'au bout des ongles, la nécessité de maintenir un «cordon sanitaire» autour des responsables frontistes. Aujourd'hui comme hier. Ce qui n'empêche pas Chevènement, à l'instar de Sapir mais aussi d'un Mélenchon, de mener une bataille durable et déterminée contre la «religion de l'euro», de considérer que le paysage politique doit se recomposer en profondeur autour de cette ligne de fracture, et de juger que Paris devrait repenser en bien ses relations avec Moscou.
Mais pour le «Che», au-delà de cette affiche d'un jour en forme de remake de son pas-de-deux passé avec Charles Pasqua, l'enjeu se situe à gauche. Fin septembre à Paris, outre Dupont-Aignan - qu'il cherche ainsi non à propulser mais à arrimer au camp des républicains alors que la dynamique électorale du FN suscite des tentations -, il doit surtout réunir l'ex-ministre Arnaud Montebourg et l'éternel candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon. Deux hommes de gauche qui n'ont jamais partagé avec Chevènement le vieux fantasme d'une alliance «des deux rives» et qu'on imagine mal faire autre chose que tribune épisodique commune avec un Dupont-Aignan loin de la filiation séguiniste qu'il continue de revendiquer. Et si, en Grèce, Aléxis Tsípras a, lui, franchi le Rubicon en s'alliant avec un souverainiste nationaliste appartenant clairement au «camp d'en face», jusqu'à en faire son ministre de la Défense, il apparaît un peu rapide de comparer les (en)jeux de coalition du parlementarisme hellénique, dans un pays au bord du gouffre, avec les logiques politiques de notre hyperprésidentialisme longtemps bipartisan.
Dans la perspective du premier tour de 2017, échéance à la fois si lointaine et déjà si présente, le fait que les chapelles du souverainisme républicain s'animent n'est pas forcément une mauvaise nouvelle pour François Hollande. Si une telle candidature, encore largement hypothétique, devait voir le jour, elle aurait en effet toutes les chances de grappiller en priorité quelques (petits) points à Le Pen, Sarkozy ou même Mélenchon. On imagine mal quel virulent eurosceptique décidé à voter Hollande pourrait choisir de s'en détourner si un «républicain des deux rives» concourait. A fortiori si Nicolas Dupont-Aignan, obsédé par une candidature en 2017, devait in fine porter les couleurs de ce rassemblement que le «Che» a jugé dans le JDD comme le seul capable de «sortir la France de l'ornière». L'aîné, qui a déjà donné à la présidentielle, se pose, lui, en «instituteur d'une gauche républicaine». Il n'avait pas besoin de faire sa rentrée avec son élève le plus droitier.
(1) Lire aussi la tribune de Jean-Loup Amselle, page 22.