Il y a ceux et celles qui, comme François de Rugy ou Jean-Vincent Placé, quittent le navire, accablés de le voir renoncer aux clapotis réformistes. Et, il y a celles et ceux qui, comme Cécile Duflot, manœuvrent pour modifier le cap et conduire le bateau jusqu’aux quarantièmes rugissants d’une radicalité auto- proclamée. Résultat : un naufrage !
Longtemps, les deux orientations ont cohabité au sein des Verts, nourrissant un huis clos de débats abscons, paralysant la réflexion, épuisant les meilleures volontés, discréditant le message neuf du paradigme écologique à coups de querelles archaïques ou secondaires. Aujourd’hui, la comédie du trop ou pas assez à gauche est finie ! L’écologie politique dont EE-LV était le nom est à terre, dévorée par ses propres enfants, rejetée par les électeurs, détestée par les écologistes de terrain et les forces vives de la société. Les partisans d’une stratégie des petits pas, aussi bien que les zélateurs de la grande rupture (ainsi que ceux et celles qui de l’intérieur du parti ont fait le gros dos, n’ayant pas eu l’énergie de faire entendre la singularité du projet écologiste dont EE-LV devait justement être la représentation), sont tout autant responsables de cet immense gâchis. Face aux défis colossaux que dresse la crise de l’humanité - dont la crise des ressources, du climat et de la biodiversité constitue le centre nerveux - que valent les postures arc-boutées sur le vieux schéma d’opposition rhétorique révolutionnaire contre pragmatisme réformiste ? La politique, dans nos démocraties modernes, si fragiles, si fragmentées, n’a-t-elle pas justement pour objet l’articulation délicate entre réformes institutionnelles et mouvements sociaux ?
Il ne s’agit ni de traîtrise ni de vilenies. Les membres d’EE-LV ne sont ni meilleurs ni pires que d’autres. Leur prétention à faire de la politique autrement n’est qu’une posture supplémentaire. Ne s’agit-il pas, avant tout, de mettre en œuvre une autre politique, de la rendre désirable et, plus encore, démocratiquement majoritaire ? Or, c’est sur cette autre politique que, d’un même élan, farouches révolutionnaires ou réformateurs pusillanimes ont failli. Pourquoi ? Parce que l’histoire les a faits ainsi, prisonniers d’un attachement culturel commun, familiers de la même maison, épousant avec gourmandise les querelles de famille. Tout radicaux ou pragmatiques qu’ils se prétendent, ils sont ensemble, en parfaite complicité, les héritiers d’un imaginaire du passé reproduisant à l’identique les clivages du mouvement ouvrier, refusant l’imaginaire du futur, celui d’une société recomposée selon de nouveaux modes de faire et d’être. Ils se disputent, ils se détestent mais, sur le fond, ils partagent la même stratégie, celle d’accoler l’écologie à quelque chose, de la diluer, de la livrer en sujet soumis, otage consentante d’une des variantes de la gauche (soit l’inverse d’une stratégie de partenariats ou de coalitions de projets avec ces forces de gauche).
S’ils revendiquent les uns et les autres «l’autonomie» de l’écologie politique - vis-à-vis de la social-démocratie pour les uns, vis-à-vis de l’extrême gauche pour les autres -, c’est pour mieux brader l’indépendance du projet écologiste, le rattacher à toute force à un courant de la gauche considéré comme l’allié naturel, l’inféoder à l’un de ces deux courants historiques, alors que l’un et l’autre sont à bout de souffle (au même titre que les courants conservateurs), quoiqu’ils s’efforcent de se refaire une seconde jeunesse dans les tartuferies du développement durable ou de l’écosocialisme. Les écologistes d’EE-LV ont peur de ce qu’ils sont. On pourrait les comprendre, s’il s’agissait de faire preuve d’humilité par rapport au gigantisme des défis. Ce n’est que le refus d’être soi-même, l’appétence pour le rôle de croupion grognon et la sécurité du confort routinier des camps : la gauche contre la droite, les réformistes contre les révolutionnaires, les radicaux contre les institutionnels. Au fond, les écologistes d’EE-LV ne sont peut-être pas écologistes. Quand le mouvement a été créé, en 2008, il avait l’ambition de proposer une nouvelle offre politique, écologiste justement, et à échelle transnationale. Rassembler sur l’horizon du futur : cela constitua son succès, car cet objectif contenait l’espérance d’une autre voie.
Feu de paille que la pétrification idéologique du parti vert eut tôt fait d’éteindre. Europe Ecologie devint les Verts. En normalisant son offre politique sur l’axe traditionnel droite-gauche et en s’alignant sur l’académisme des querelles de la gauche qui la déchire aujourd’hui, l’écologie politique s’est vouée au marginalisme. Chacun peut alors s’interroger sur le paradoxe d’un temps qui s’avère de plus en plus écologique alors que l’écologie politique se montre de moins en moins crédible. Malgré l’excellence d’un travail interne méconnu sur toutes les questions de la transition écologique, malgré l’investissement de ses élu(e)s et de ses militants, EE-LV est rentré dans le rang. Celui d’un parti satellisé par l’une ou l’autre des gauches, auquel la société en quête d’alternative sera de plus en plus indifférente.