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Libération
ANALYSE

Réfugiés : une photo qui fait bouger le gouvernement

Tenant d'abord une ligne de «fermeté», Valls a insisté sur l'«humanité» de la France dans la crise migratoire. Mais la peur de l'extrême droite empêche la gauche de se libérer.
Manuel Valls le 2 septembre à Paris. (Photo AFP)
publié le 4 septembre 2015 à 18h03

Une photo pour passer du discours aux actes. Le cliché du petit Aylan Kurdi échoué sur une plage turque aura fini de libérer une partie des socialistes sur la question des réfugiés. Jeudi, rappelant son souhait de voir s'organiser à Paris «une grande conférence mondiale consacrée au mouvement des réfugiés, qui réunirait l'ensemble des chefs d'Etat», le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, accompagné du président des élus socialistes, Pierre Cohen, a demandé aux maires PS d'organiser dans leur commune les conditions d'accueil des réfugiés. Une campagne lancée sur les réseaux sociaux intitulée «Pour nous c'est oui !» et à laquelle, notamment, la maire de Lille, Martine Aubry, a répondu.

Quant à l’exécutif, François Hollande s’est précipité, avec Angela Merkel, pour révéler des propositions européennes et convoquer, jeudi après-midi, une réunion interministérielle sur la question des migrants en présence de Manuel Valls, Ségolène Royal (Ecologie), Bernard Cazeneuve (Intérieur), Sylvia Pinel (Logement), Harlem Désir (Affaires européennes) et Christian Eckert (Budget). Le Premier ministre ayant, lui, fait part de son émotion sur Twitter.

«Urgence d'agir», dit Manuel Valls alors que, jusqu'à présent, il avait fait le choix d'insister sur la «fermeté» de la France dans cette crise migratoire. Avec une image en guise de symbole : celle de sa descente à Menton (Alpes-Maritimes), en juin, dans un poste de police aux côtés des élus de droite, Christian Estrosi et Eric Ciotti, alors que des réfugiés dormaient au bord de la Méditerranée, couvertures de survie sur eux, attendant un laisser-passer pour la France.

Dimanche devant les militants socialistes réunis en université d'été à La Rochelle, le chef du gouvernement a rappelé cette ligne de «fermeté» : «Il y a les migrants, éligibles au droit d'asile. Il y a aussi une immigration économique, irrégulière. Face à cela, il faut des règles strictes, la plus grande intransigeance pour lutter – et je pense à Calais, et la coopération franco-britannique – contre les passeurs, les trafiquants d'espoir qui se repaissent de la misère humaine.»

«Comment accueillir sans faire monter Le Pen ?»

Une gauche sans assez de cœur ? Interrogés avant le discours du Premier ministre à La Rochelle, plusieurs ministres justifiaient la realpolitik du gouvernement. «On est bon sur l'aspect sécuritaire», expliquait l'un d'eux. Un de ses camarades résumait aussi le dilemme socialiste : «Comment accueillir davantage de personnes dans des conditions dignes sans faire monter Le Pen ?» Avec une droite, dont certains leaders tiennent des propos se rapprochant de ceux de l'extrême droite, les hauts dirigeants ont voulu couper l'herbe sous le pied de leurs opposants, mais restent tétanisés à l'idée d'être accusés de créer un «appel d'air». Et de permettre à Marine Le Pen d'engranger sur le registre de l'«invasion» et d'une «gauche laxiste».

«Les Français veulent de la protection», dit-on dans les rangs socialistes, alors pas question de se montrer trop ouverts. Et tant pis si cela choque la «gauche morale», comme l'appelle un ténor PS. «Il y a des peurs en France très fortes parce que notre société est très figée», souligne un ministre. Mais sentant les critiques monter dans leur camp et voyant surtout la droite coller au Front national, tandis que leur alliée allemande, Angela Merkel, faisait le choix de l'ouverture, on a vu à La Rochelle que les socialistes commençaient à se décomplexer sur le sujet. Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, s'est notamment fait applaudir en lançant que «ces hommes et ces femmes ne viennent pas prendre notre boulot, mais pour sauver leur peau».

Refus du mot «quotas»

D'entrée de discours, Manuel Valls a insisté, dimanche, sur le «drame humain», l'«hécatombe», consécutive aux «grandes migrations». «Notre devoir, c'est de trouver des réponses durables, fondées sur des valeurs : humanité, responsabilité, fermeté», a déclaré le Premier ministre, rappelant la doctrine du gouvernement depuis 2012. Mais, pour la première fois, le chef du gouvernement insiste sur le volet «humanité», «parce que les migrants doivent être traités dignement. Abrités, soignés», martèle Valls. Il cite une phrase inscrite sur le socle de la statue de la Liberté à New York : «Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, qui, en rangs serrés, aspirent à vivre libres, le rebut de vos rivages surpeuplés, envoyez-moi ces déshérités rejetés par la tempête… de ma lumière, j'éclaire la porte d'or.» Un discours, certes, mais peu d'actes pour l'instant.

Valls refuse toujours le mot «quotas» pour la répartition des réfugiés sur le sol européen. Lundi, à Calais, au lendemain de son discours à La Rochelle, il a annoncé la création d'un centre d'accueil de 1 500 places pour les réfugiés quand les associations estiment qu'il en faudrait le double. «Dès le mois de juin, nous avons pris des mesures humanitaires fortes, décidé un plan d'urgence offrant 12 000 places d'hébergement supplémentaires par rapport à il y a trois ans, s'est-il défendu dimanche. C'est une augmentation de 45 % pour instruire dignement les 60 000 à 70 000 demandes d'asile – le chiffre est stable – que notre pays reçoit chaque année.» La «stabilité», peut-être est-ce aussi l'objectif premier du gouvernement.