Menu
Libération
Témoignage

Migrants : maires d’accueil

Solidarité. Grandes ou petites, rurales ou urbaines, de nombreuses villes se sont déclarées prêtes à recevoir des réfugiés.
Des migrants à la station de métro La Chapelle, à Paris, le 1er juin. (Photo Julien Mignot)
publié le 6 septembre 2015 à 20h06

La mobilisation s’est amplifiée, ce week-end, partout en Europe, tandis que le flux de réfugiés ne faiblit pas à ses portes. Syriens pour la plupart, ils ont été 10 000 à rejoindre l’Allemagne pour la seule journée de dimanche.

En France, des milliers de personnes ont manifesté leur solidarité dans plusieurs villes et des élus se disent prêts à accueillir des réfugiés (lire ci-contre). Le pape et le grand rabbin de France ont lancé des appels à la générosité. Jeudi, le Parti socialiste s'est dit favorable à la constitution d'un «réseau de villes solidaires». Lille, Dijon, Strasbourg, Rouen, Clermont-Ferrand ont déjà répondu favorablement. Des communes plus petites, comme Cachan, en banlieue parisienne, se sont ralliées à l'initiative. «Notre rôle est de rendre possible l'engagement des citoyens qui, partout, expriment leur volonté d'aider les réfugiés», souligne Jean-Yves le Bouillonnec, député-maire (PS) de la ville. Les maires sont conviés samedi à une réunion de coordination par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. A droite, des voix s'élèvent aussi. «Où sont nos consciences ?» interroge la sénatrice UDI de l'Orne Nathalie Goulet, pour qui «la France doit accueillir 200 000 Syriens et Irakiens».

Imperturbable, le député LR François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF) expliquait vendredi sur i-Télé qu'il ne voulait pas de réfugiés dans sa ville au motif que les structures d'accueil seraient «suroccupées». Tel n'est manifestement pas le cas à Bordeaux. Devant les militants LR rassemblés à La Baule (Loire-Atlantique), Alain Juppé a défendu le devoir d'accueil. Au nom de «l'humanisme», un autre ex-Premier ministre de droite, Jean-Pierre Raffarin, a réclamé dimanche une «politique nationale d'accueil». Au-delà de l'urgence, il plaide pour une intégration durable des réfugiés. En juillet, Raffarin n'avait pas craint d'effrayer ses amis de droite en suggérant que les migrants contribuent au repeuplement de villages en voie de désertification.

«C’est la moindre des choses»

Gilles Leproust maire PCF d’Allonnes (Sarthe)

«Nous sommes une ville de la banlieue du Mans, nous n’avons pas encore pris de mesures particulières sur l’accueil des migrants, mais bien évidemment nous y répondrons favorablement. Allonnes est une ville ouverte, nous avons des coopérations avec la ville de Sangha au Mali, mais aussi avec la Palestine. Au sein des réseaux des villes de la Sarthe, nous sommes bien sûr d’accord pour contribuer à apporter des solutions.

«C’est la moindre des choses, toute ville qu’elle soit grande ou petite, se doit de se mobiliser pour aider ces personnes pour qu’elles puissent vivre dans la dignité. Notre ville saura prendre sa part, et nous avons un travail à faire en expliquant la situation à nos concitoyens. Les sondages montrent qu’il y a parfois des réticences. L’idée est d’être dans la durée et la cohérence.

«Pour autant, ne faisons pas que du caritatif. Cette migration ne date pas d’hier, elle a des causes, et les politiques ont leurs responsabilités dans la succession de ces événements.

«La première des aides est du ressort des Etats, c’est à eux de la fournir. Ils ont trouvé de l’argent pour sauver les banques, il y en a pour prendre en charge les migrants, les accompagner. Et nous, à notre place, nous sommes prêts à apporter des réponses concrètes : il faut être ensemble, et poser ensemble les questions caritatives et politiques.»

«L’hospitalité est une valeur essentielle»

Luc Carvounas maire PS d’Alfortville (Val-de-Marne)

«C’est pour moi de l’ordre de l’évidence. Et d’abord, en raison de l’histoire de ma ville, jeune commune qui s’est construite avant guerre sur l’accueil de la communauté arménienne. Dans notre histoire, dans notre ADN, l’hospitalité est une valeur essentielle. Encore récemment, nous avons inauguré une résidence de l’abbé Pierre pour les personnes en grande précarité, mais également un autre lieu pour des jeunes homosexuels en situation de forte fragilité. Là, je n’ai pas hésité un instant quand Cambadélis a lancé le réseau «villes solidaires», d’autant que nous avons déjà accueilli des migrants, mais on le faisait de façon isolée.

«Aujourd’hui il se passe quelque chose : faire un mouvement de masse le plus fort possible, c’est le retour de l’action politique, qui doit prendre le pas sur l’action associative. Le maire, avec ses moyens, peut faire quelque chose. Et moi, en tant que président d’un important office d’HLM, j’ai déjà bloqué cinq appartements.

«Des réactions négatives de ma ville ? Non, ce matin, au marché, la plupart des gens que j’ai croisés se montrent eux aussi solidaires. Bien sûr, je retrouve l’opposition du Front national et des Républicains, mais ils font une erreur grave. Lorsque j’ai entendu le maire de Troyes, François Baroin, président des maires de France, refuser tout net l’hospitalité, j’ai eu honte. Il fait une faute morale et politique : en tant qu’ex-ministre de l’Intérieur, il a une responsabilité particulière.

«J’ai envoyé une lettre à tous les maires du Val-de-Marne, et nombre d’entre eux sont prêts à participer à cette chaîne de solidarité. Enfin, je vous dirai que c’est ma propre histoire : ma famille, grecque d’origine, a fui les Turcs qui les pourchassaient.»

«Les habitants m’ont dit qu’ils aideraient»

Olivier Bianchi maire (PS) de Clermont-Ferrand

«Dès la mi-juillet, le préfet du Puy-de-Dôme m’a demandé si je souhaitais participer à l’accueil de migrants et j’ai évidemment donné mon accord de principe. A l’époque, nous pensions accueillir sept familles. Mais depuis, la donne a changé et il est à présent question d’accueillir en Auvergne 200 familles originaires de Syrie, un chiffre encore provisoire. La plupart d’entre elles devraient s’installer sur l’aire urbaine de Clermont-Ferrand : une réunion avec les maires des 21 communes de l’agglomération clermontoise se tiendra vendredi afin d’évaluer les offres et capacités d’accueil de chaque ville. Cournon-d’Auvergne et Chamalières ont d’ores et déjà accepté de participer à cet effort.

«Certains cherchent à faire des amalgames scandaleux avec l’immigration clandestine. Nous avons un réel devoir de pédagogie à faire afin que les Français comprennent que cet accueil s’inscrit dans la longue tradition d’hospitalité de la France. A Clermont-Ferrand, les services de la ville travaillent avec les HLM et des associations telles que la Cimade pour recenser les possibilités d’hébergement.

«Des réactions hostiles circulent sur les réseaux sociaux, mais elles ne représentent qu’un quart des réactions, alors que je m’attendais à un ratio plus défavorable. Quoi qu’il en soit, je reste confiant : Clermont est une ville plutôt apaisée. J’étais dimanche dans un quartier populaire, et les habitants sont venus me dire qu’ils voulaient être là pour accueillir les réfugiés, qu’ils les aideraient à apprendre le français, à s’occuper des enfants… Nous nous souvenons tous d’avoir accueilli ici, dans les années 80, 200 familles kurdes. Elles sont aujourd’hui parfaitement intégrées.»

«Notre région a reçu les réfugiés espagnols en 1939»

Christophe Lubac maire PS de Ramonville (Haute-Garonne)

«Le droit d’asile est un droit universel et un devoir pour les élus. Nous étions sollicités depuis plusieurs semaines pour trouver des solutions d’accueil. La photo du petit garçon syrien retrouvé mort sur une plage en Turquie a été un élément qui a fait basculer l’opinion locale. Les gens ont commencé à nous dire qu’on ne pouvait «plus rester aveugles» et sans rien faire.

«Pour que l’engagement de l’Etat d’accueillir des réfugiés ne reste pas à l’état de paroles, il faut nécessairement que ça suive au niveau des communes. En 1939, notre région a reçu les réfugiés espagnols de la guerre civile. Ce n’est pas parce qu’on est dans un pays qui s’est refermé sur lui-même dans la peur et parfois la haine de l’autre que l’on ne doit pas être dans la continuité de notre histoire et de nos valeurs. Sur le comment, il y a des démarches individuelles d’habitants prêts à accueillir des réfugiés chez eux. C’est très bien, mais ce n’est pas satisfaisant. Les réfugiés et leurs familles ont besoin de solutions pérennes. Des logements à eux. Il faut aussi penser à la scolarisation des enfants.

«Dans la commune nous recensons actuellement le contingent de logements sociaux et de places dans les écoles que l’on va pouvoir mobiliser. Nous aurons un retour précis cette semaine. Les réactions des habitants sont partagées. C’est du 50-50. Certains, déjà dans les réseaux associatifs, sont mobilisés. D’autres nous ont demandé de faire quelque chose après la publication de la photo de l’enfant. Et puis il y a ceux qui disent qu’il y a déjà suffisamment à faire en France pour s’occuper des étrangers. Ce qui est intolérable.»

«Cela n’a rien à voir avec l’immigration habituelle»

Laurent Hénart  maire (UDI) de Nancy

«On touche là aux fondements de notre République et de notre Union européenne. Comme la chancelière Angela Merkel, nous devons affirmer que nous avons le devoir d’accueillir ceux qui fuient la mort ou l’enrôlement forcé dans l’armée de Bachar al-Assad.

«En matière de procédure d’asile, c’est évidemment l’Etat qui décide. Dès vendredi, je me suis rapproché du préfet pour lui demander de me tenir informé des décisions qui seront prises. Lundi matin, je réunis en mairie de Nancy les adjoints concernés. Puis, nous nous rapprocherons des services de la préfecture. Ensuite, cette semaine, j’ai prévu de réunir toutes les associations concernées. La ville ne dispose pas de locaux vides pour accueillir des réfugiés. Mais elle peut, très rapidement, mobiliser les circuits d’urgence. Combien de réfugiés devrons-nous accueillir ? On n’en sait rien. Ce que je sais, c’est que l’asile n’est pas un droit négociable. Il faut bien expliquer que cela n’a rien à voir avec ce que l’on entend habituellement par immigration. Il ne s’agit pas de regroupement familial !

«Cela dit, je pense qu'il faut éviter toute surenchère. Je ne suis pas convaincu, par exemple, par l'initiative de la maire de Barcelone, visiblement pensée en opposition au pouvoir central de Madrid [Ada Calau, élu «indignée» propose la création d'un réseau de villes-refuges, ndlr]. Nous devons agir ensemble, élus et services de l'Etat, sans chercher à se faire «une image honorable». C'est ensemble que nous devons expliquer à la population qu'il s'agit de faire face à une urgence humanitaire et non pas de débattre de l'immigration.»