Aux services sociaux, sa mère avait dit qu'elle allait «le jeter dans la Marne», son père, qu'il voulait «le balancer du deuxième étage». Bastien, 3 ans, est mort le 25 novembre 2011, enfermé dans le lave-linge familial, lancé en programme essorage. Ses parents, Christophe Champenois, 36 ans, et Charlène Cotte, 29 ans, comparaissent depuis mardi et jusqu'à vendredi soir devant la cour d'assises de Melun. Lui pour «meurtre aggravé», elle pour complicité. Bastien avait les joues rondes des enfants de cet âge, des yeux bleus, des cheveux blonds fins. «C'était une petite boule de joie», dit son oncle maternel. «Un enfant turbulent, agité», disent ses parents. Sa «grande» sœur, Marie (1), 5 ans, est celle qui a permis de comprendre ce qui s'était passé, ce jour-là, dans l'appartement exigu de Germigny-L'Evêque (Seine-et-Marne). «Papa a mis Bastien dans la machine à laver», a dit au voisin la petite fille, bravant la menace et le bras levé de son père.
Dans l'histoire de Bastien, une histoire où se mêlent maltraitance, signaux d'alerte permanents, et ignorance constante de ces signaux, Marie est la seule à avoir tenu tête à ses parents au nom de son frère. Bastien est né le 19 mai 2008. Charlène, sa mère, dit parfois qu'elle ne se savait pas enceinte, qu'elle ne l'a compris qu'à l'accouchement. D'autres fois, elle explique qu'elle ne pouvait pas parler aux autres de sa grossesse : «J'avais peur de la réaction de Monsieur [c'est ainsi qu'elle nomme son ex-compagnon, ndlr], qui ne voulait pas de deuxième enfant.»
Des comportements de «mise en danger»
Christophe Champenois, semble-t-il, n'a eu conscience qu'il allait être père à nouveau qu'au moment des contractions de sa compagne. A la barre, Charlène raconte cet instant : «J'ai appelé Monsieur, il était en train de faire la fête. Mes parents l'ont rappelé pour lui dire que j'accouchais. Il a dit qu'il ne viendrait pas.»
Aux services sociaux, qui accompagnent le couple depuis 2006, en raison de «conditions de vie précaires», Christophe Champenois clame : il ne «veut pas de cet enfant», il voudrait qu'il soit «placé». Charlène Cotte refuse. Mais le rejet affiché par le père n'inquiète pas les travailleurs sociaux. Au contraire, expliqueront-ils. Le fait que Christophe Champenois «exprime» les problèmes est vu comme un signe positif. Cela veut dire que l'on peut «travailler» avec lui. «C'était une famille très coopérante», martèle Christine Boubet, directrice des services sociaux de Seine-et-Marne. La responsable a témoigné mercredi à la barre. Elle n'avait pas été citée comme témoin, c'est elle qui a demandé à être entendue. «Pour vous expliquer ce que font les services sociaux, démarre-t-elle d'un ton sûr. Parce que cela me semble avoir été remis en question.»
Suit un exposé en deux parties, elles-mêmes déclinées en plusieurs points. Derrière les subdivisions, un seul message : «Nous avons rempli notre mission.» «Nous», c'est elle, les assistantes sociales, les puéricultrices, et les «travailleurs de l'intervention sociale et familiale» qui suivaient la famille. Pendant les cinq années de «cette mission», de 2006 à la mort de Bastien, l'enquête a relevé neuf «informations préoccupantes», rapports concernant un danger pour les enfants ou signalements. La directrice des services sociaux en énumère quatre. «Première information préoccupante le 15 décembre 2009, deuxième en janvier 2010, troisième en février 2010, quatrième en juillet 2011.» Il s'agit, notamment, de deux appels au 119, numéro de l'enfance en danger. Des voisins ont vu la petite Marie sur le toit, accrochée au rebord de la fenêtre. Ses enseignants, plus tard, signalent que Marie est «une petite fille négligée, maigre, avec de vrais problèmes d'hygiène». Encore après, ils expliquent aux travailleurs sociaux qu'ils sont inquiets pour Bastien, qu'il a des comportements de «mise en danger». Un autre appel au 119, en juillet 2011, décrit Bastien errant seul dans la rue, sortant du domicile sans que sa mère s'en rende compte. Des coups et cris sont évoqués. Le 9 novembre 2011, quinze jours avant sa mort, Bastien montre une bosse sur son front à une assistante sociale. «Papa a fait boum.» La seule réaction de la travailleuse est de poser la question aux parents. Qui nient, de manière peu surprenante.
Aucun témoin qui se sente coupable
«Est-ce que vous prévenez toujours les familles de vos visites ?» questionne la présidente de la cour d'assises. «Oui, répond la directrice. Si le rendez-vous n'est pas prévu, c'est normal que les gens ne nous ouvrent pas la porte.» Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et Partage, partie civile, a aussi une question. «Quand votre intervenante organise un atelier maquillage pour Charlène Cotte, et lui fixe comme objectif pour sa prochaine visite d'avoir changé de robe et de coiffure, au regard de l'état d'alerte concernant les enfants, est-ce qu'il n'y a pas là un décalage qui peut choquer ?» Mais «non», répond la responsable, aucun des aspects du suivi dont ont bénéficié les parents de Bastien - trois intervenants, plusieurs visites hebdomadaires - ne semble la choquer. La raison de sa présence à la barre est tout autre, elle y arrive en conclusion. «Le département s'est constitué partie civile, car aujourd'hui un dommage est porté à l'institution de la protection de l'enfance, lorsque l'on dit qu'elle est inefficace, incompétente. Le département est atteint, le département est victime.»
Jeudi après-midi, l'assistant socio-éducatif qui suivait la famille depuis février 2011, en larmes à la barre, a repris le même discours. «Nous savons que nous avons mis en place des choses dans cette famille, et notre profession est remise en cause par la presse. Et même nos personnes finalement. Bastien est la première victime. Mais la victime ultime de tout ça, c'est nous.» Entre deux sanglots, l'homme explique ensuite que «la famille Cotte-Champenois était en demande par rapport à un soutien alimentaire et un accompagnement pour les démarches administratives». En clair, Christophe Champenois travaillait sporadiquement, en intérim, puis plus du tout, Charlène Cotte n'avait jamais travaillé. Lui s'alcoolisait régulièrement, consommait divers stupéfiants (cannabis, ecstasy, amphétamines, cocaïne). Les espoirs d'avenir meilleur du couple étaient tous réunis dans la demande d'un logement social plus grand, à laquelle leur assistant socio-éducatif «travaillait».
L'homme à la barre se tait un long moment, pleure encore. «Monsieur reconnaissait que Bastien pouvait craindre sa voix, mais qu'il ne le frappait pas. Ces éléments que la famille apportait ne nous ont pas alarmés. Au contraire ils nous ont rassurés. Par contre, c'est vrai que l'on s'interrogeait sur la place de Bastien. Il était vu comme l'enfant turbulent, à recadrer. L'enfant que Monsieur n'avait pas désiré, qui défiait son autorité. Mais ne pas avoir d'appréciation positive sur son enfant à un moment ne veut pas dire que cela va durer toujours.» La présidente le regarde d'un air bienveillant : «Votre émotion, elle est pour Bastien, ou liée au fait que votre travail a été remis en cause ?» «Les deux», répond-il. La veille au soir, la directrice de l'école maternelle des enfants s'est elle aussi présentée à la barre comme une «victime» des faits, souhaitant même se «constituer partie civile». Aucun témoin n'emploie le vocabulaire inverse, aucun ne dit se sentir «coupable» de n'avoir pas vu la détresse de Bastien.
A la barre viennent enfin les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance qui ont pris en charge Marie. La fillette, racontent-ils, «est très intelligente, très jolie, et a beaucoup de difficultés». Pendant des mois, dès qu'elle croisait un adulte inconnu, Marie se précipitait pour lui raconter «papa qui met Bastien dans la machine à laver». Comme l'enfant parlait toujours du retour de son petit frère, les éducateurs l'ont emmenée au cimetière. Marie s'est ensuite inventé un «compagnon imaginaire. Un poupon qu'elle appelait Bastien, et avec qui elle discutait toute la journée». Ces derniers temps, Marie «va mieux», elle parle moins au poupon.
(1) Le prénom a été modifié.