Menu
Libération

Lille touche le plafond

Les loyers seront encadrés dès janvier dans cette ville aux revenus bas et aux logements chers.
publié le 10 septembre 2015 à 20h16

L'évolution des loyers en France

A Lille, les loyers sont très élevés alors qu'on gagne moins qu'ailleurs. Le loyer moyen au mètre carré est à 13,6 euros et la ville est quatrième dans la liste des 20 grandes villes les plus chères de France (1). Plus chère que Lyon, Strasbourg et Bordeaux. Parmi ces mêmes 20 villes, Lille est 18e en termes de revenu médian (2). Difficile de trouver un studio potable à moins de 450 euros. En 2000, c'était encore le tarif pour un deux-pièces.

Pour le coût du logement étudiant, Lille est selon une étude de l'Unef 7e sur 20, avec un loyer moyen à près de 470 euros dans une métropole où la moitié des locations privées sont étudiantes. D'autres villes, comme Grenoble, planchent sur la question, mais Lille sera la prochaine à encadrer les loyers, dès janvier. La hausse des prix, rapide depuis 2008, justifie à elle seule la mesure.

«Spéculation». Pourquoi cette flambée ? D'abord l'effet TGV, qui a mis Lille à une heure de Paris, en 1993. La ville est aussi à trente-cinq minutes de Bruxelles et à une heure vingt de Londres. Il y a également eu l'effet capitale européenne de la culture, en 2004. Et par-dessus, de la spéculation, estime Audrey Linkenheld, conseillère municipale (PS) déléguée au logement à Lille jusqu'en 2012, députée et corapporteure de la loi Alur. «Quand on a vu, dans les années 2008-2009, les loyers augmenter fortement à Lille, on s'est d'abord dit "c'est normal, c'est l'attractivité, c'est un rééquilibrage, ici les loyers étaient historiquement plus faibles". Sauf qu'en plus du rééquilibrage, il y a de la spéculation. Les logements lillois ne valent pas ces sommes-là.»

Certes, la moyenne de 13,6 euros est à prendre avec des pincettes : elle provient des professionnels de l'immobilier «et les conditions méthodologiques requises ne sont pas réunies pour avoir des chiffres fiables», indique Emilie Pequeux, chargée d'études à l'agence départementale d'information sur le logement (Adil) du Nord, qui a obtenu son agrément pour être observatoire local des loyers. Le chiffre global ne rend pas compte des spécificités, par quartiers et par type de logement. A Lille, avec de nombreuses maisons divisées en appartements ou en studios, les petites surfaces pullulent : 60 % du parc privé est en T1 et T2. Or plus les logements sont petits, plus ils sont chers au mètre carré et, dans un même secteur, pour un studio d'étudiant, on trouvera du 16 euros le mètre carré, et du 8-10 euros pour un appartement familial. Mais le chiffre de 13,6 euros donne une tendance, celle de locataires en désarroi. «Comme ces retraités qui vivent depuis longtemps dans le centre-ville, contraints de partir parce que leur propriétaire leur a donné congé, raconte la députée socialiste. Ils n'arrivent pas à retrouver dans le quartier où ils ont toujours vécu. C'est devenu inabordable. Ils se sont résignés à faire une demande de HLM. Le résultat, c'est que la demande de logement social n'a pas baissé à Lille alors qu'on n'a jamais autant construit.»

La flambée des loyers a démarré dans les années 2000, puis s'est accélérée. Exemple dans le Vieux-Lille, quartier chic et patrimonial, ancien concentré de pauvreté. «Il y avait encore des rues malfamées à la fin des années 90, se souvient Fabien Podsiadlo-Régnier, président départemental de la Confédération nationale du logement (CNL). La ville se transformait, les propriétaires privés ont senti la bonne affaire, ont acheté en masse et fait grimper les prix. Si on n'encadre pas les loyers, les moins aisés sont repoussés en périphérie.»

Les artistes sans le sou, les ouvriers et les familles à petit budget ont dû décamper du Vieux-Lille. Les belles façades classées et les boutiques de luxe sont à quelques minutes à pied des deux gares, donc à une heure de Paris. Pour enrayer le processus, la CNL aurait préféré une baisse des loyers plutôt qu'un encadrement. «On ne veut pas d'une ville morte», insiste Fabien Podsiadlo-Régnier. Les professionnels de l'immobilier ont tenté de résister à l'encadrement, malgré la loi. Ils ne transmettent qu'au compte-gouttes les données nécessaires pour évaluer les loyers de référence. «Ils ne nous ont transmis que 1 000 données, sur 9 000 attendues», s'agace Francis Chassard, directeur de l'Adil.

Recours. Emmanuel di Girolamo, président de la Fnaim du Nord, une des principales fédérations de professionnels de l'immobilier, assure qu'il n'y a aucune mauvaise volonté, mais un «manque de temps» pour transmettre les informations. Avec d'autres fédérations, il a pourtant formé un recours devant le tribunal administratif de Lille, puis le Conseil d'Etat, qui a échoué. Ils ont depuis été mis en demeure d'envoyer leurs données avant le 15 septembre.

(1) Source : le Particulier, à partir du classement «Clameur» établi par les professionnels de l’immobilier. (2) Revenus fiscaux 2010  collectés par l’Observatoire des inégalités à partir des données Insee.