Trente ans de prison ferme (assortis de vingt ans de sûreté) pour Christophe Champenois, douze ans ferme pour Charlène Cotte. Le verdict de la cour d’assises de Melun est tombé vendredi soir, juste avant 22 heures, dans le procès des parents de Bastien, trois ans, mort enfermé dans une machine à laver le linge. Le père était accusé de meurtre aggravé, la mère de complicité.
Le 25 novembre 2011, Charlène Cotte est rentrée au domicile familial, à Germigny-Levêque (Seine-et-Marne), en annonçant à son conjoint que Bastien avait été «méchant à l'école» - une affirmation fausse, «inventée», d'après la maîtresse et la directrice de l'école.
Charlène Cotte a néanmoins puni Bastien, l'a enfermé dans un placard. Christophe Champenois, «énervé» par le compte-rendu de sa concubine, s'est ensuite saisi du petit garçon. «Papa a mis Bastien dans la machine à laver», a expliqué Marie, la fille aînée du couple, 5 ans à l'époque, aux gendarmes. Charlène Cotte, 29 ans, confirmera l'acte de son compagnon dans ses aveux.
Christophe Champenois, 36 ans, dira jusqu'à la fin de son procès qu'il ne se «souvient de rien». Toute la journée de vendredi, la tension est montée dans la salle de la cour d'assises de Melun. Détonateur: les réquisitions de l'avocat général, qui semblaient déconnectées du procès, des témoignages entendus pendant les quatre jours d'audience. Le magistrat avait réclamé la perpétuité pour lui, mais «seulement» cinq ans pour la mère, qu'il n'estimait pas «complice», mais uniquement auteure de violences sur l'enfant.
«L'histoire d'un couple maltraitant»
Le verdict, plus équilibré, semble aussi beaucoup plus proche de l'histoire qui a conduit Bastien à la mort. «L'histoire d'un couple maltraitant, décrit Rodolphe Costantino, l'avocat de l'association Enfance et Partage, partie civile. D'un couple qui n'arrivait plus à se retrouver qu'autour de ces violences contre cet enfant.» Charlène Cotte et Christophe Champenois se sont mis ensemble jeunes, 15 ans pour elle, 23 pour lui. Tous deux ont eu une enfance massacrée. A Christophe, on a caché la mort de son père, décédé lorsqu'il avait sept ans des suites d'un alcoolisme chronique. Christophe, petit, attendait toujours «le retour» de ce père disparu. Charlène a grandi dans une précarité sociale et affective qui l'a forcée au silence, cinq de ses sept frères et sœurs ont été placés, elle a toujours été «discrète, effacée». Leurs scolarités à tous deux se sont arrêtées tôt. Elle n'a jamais travaillé. Lui a enchaîné quelques petits boulots, puis a «vécu des allocations», se défonçant «avec un peu tout», alcool, cannabis, amphétamines, cocaïne.
Leur rencontre leur semble un nouvel espoir, confirmé par la naissance de leur fille Marie. Celle de Bastien, en revanche, est «différente». Déni de grossesse, dit parfois Charlène, ou «peur d'annoncer» à Christophe la venue d'un deuxième enfant qu'il ne veut pas, dit-elle à d'autres instants. Elle «cache», en tout cas, sa grossesse, que Christophe découvre à l'accouchement. Il refuse de déclarer Bastien pendant plusieurs jours, répète qu'il voudrait que le bébé «soit placé».
Semaines après semaines, le petit garçon devient leur bouc émissaire, l'exutoire de leurs détresses et frustrations. A Marie qu'ils trouvent «sage, gentille», ils opposent Bastien, «turbulent, agité». «Bastien était puni parce qu'il faisait toujours des bêtises», racontera sa soeur Marie. A la barre, les experts psychiatre et psychologue Vincent Mahé et Corinne Descamps ont raconté ce couple «pathologique». Christophe, enfant unique idéalisé et élevé sans limites par sa mère, mais tenu dans l'ignorance de la mort de son père, puis isolé en internat. Il devient «tyran domestique», bat Charlène, fait venir devant sa femme sa maîtresse à domicile. Il se sent «défié sans cesse» par «les bêtises» et «l'agitation» de Bastien. Charlène, mal dans sa peau, en fort surpoids, cherche à tout prix à exister aux yeux de son concubin. Leur petit garçon, que Christophe «n'arrive pas à contrôler», devient pour elle cette façon d'exister.
«Je n'avais pas le choix»
«Tous les soirs, je devais lui faire mon rapport sur Bastien, dit Charlène à la barre, je n'avais pas le choix.» Plusieurs avocats lui ont fait remarquer que ce soir-là, le 25 novembre, elle mettait Bastien sciemment en danger. Que la veille, devant elle, Christophe avait menacé de «balancer» leur fils par la fenêtre, qu'il l'avait crié sur le répondeur d'un travailleur social qui suivait la famille. Mais Charlène Cotte, sans larmes, sans émotion apparente, et presque sans mots tout au long de l'audience, a juste répété: «Je n'avais pas le choix.»
Le soir du meurtre, Marie, la «grande» sœur, a expliqué que «Maman faisait un puzzle», assise avec elle, tandis que Bastien hurlait dans la machine à laver, à deux ou trois mètres de là, dans l'appartement minuscule. Une demi-heure s'est encore écoulée avant que Christophe Champenois n'éteigne l'appareil, en fonction essorage, et n'en sorte le corps de l'enfant. Charlène Cotte, déjà par le passé victime de violences de son compagnon, avait à l'époque su trouver la force de se rebeller, d'enfermer son conjoint dans la salle de bains et d'appeler la police. Pas cette fois. La «complicité» de Charlène, réfutée par l'avocat général, même si elle pouvait faire l'objet d'un débat juridique, semble pourtant la clé de compréhension du calvaire de Bastien. Le sens même de la vie de ce couple, qui ne se réunissait plus qu'autour du sacrifice de leur enfant, mis à l'écart, enfermé quotidiennement dans un placard, accroché sur le rebord de la fenêtre, puis tué dans la machine à laver. «Quand l'un des deux parents était seul avec Bastien, ou avec Bastien et Marie, tous les témoins l'ont attesté, il n'y avait pas de violences, relève l'avocat Rodolphe Costantino. Les maltraitances ne se produisaient que lorsqu'ils étaient ensemble, à deux. C'était le lien, le seul qui leur restait.» Le verdict de la cour d'assises de Melun dit ce que l'on peut dire de cette histoire indicible.
(1) Le prénom a été modifié.