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Libération
Reportage

Nice ressort la tunique unique

L’école privée Saint-Vincent-de-Paul impose depuis 2014 une tenue bleue aux élèves. Une pratique promue par de nombreux élus de droite, qui y voient un remède miracle à tous les maux scolaires.
(Photo Emmanuel Pierrot)
par Mathilde Frénois, à Nice
publié le 14 septembre 2015 à 18h46

Ce n’est pas l’uniforme à l’anglaise, mais ça y ressemble. A l’école privée Saint-Vincent-de-Paul de Nice, les 303 élèves de maternelle et primaire ont fait leur rentrée vêtus de la même tenue : un polo bleu et le nom de l’établissement brodé en lettres vertes. Le reste de la tenue est libre, du moment que les vestes, pantalons, shorts et jupes soient bleus. Pour le premier jour de classe, Eric Ciotti est passé saluer les enseignants et les élèves. Une visite pas du tout désintéressée, car le député et président (LR) du conseil général des Alpes-Maritimes est favorable au port de l’uniforme pour tous les élèves, y compris dans l’enseignement public.

A Saint-Vincent-de-Paul, il a déclaré qu'il soutenait «totalement [leur] démarche. Le moment est venu d'imposer le port d'une tenue unique dans les établissements scolaires français». Eric Ciotti remet sur le devant de la scène un sujet récurrent à droite, où chacun trouve un prétexte à l'uniforme : contre la violence (Xavier Darcos, alors ministre délégué à l'Enseignement scolaire, en 2003), contre les tenues provocantes (proposition de loi d'une cinquantaine de députés en 2006), contre «l'hypersexualisation des petites filles» (la sénatrice de Paris UDI Chantal Jouanno en 2012), pour l'égalité et la laïcité (proposition de loi de 35 députés dont Eric Ciotti en 2013)… Chacun utilise ses propres mots : uniforme, blouse, tenue unique, commune ou personnalisée. Mais tous s'accordent sur le port d'un même vêtement censé résoudre bien des problèmes de l'école.

Excepté en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et dans les lycées dépendant du ministère de la Défense, l'uniforme n'est plus appliqué dans le public depuis 1968. Dans le privé, chaque établissement est libre de le faire inscrire ou non dans son règlement intérieur. C'est ce qu'a fait l'an passé l'école Saint-Vincent-de-Paul. «L'idée est née pendant un voyage scolaire à Londres. Nous y avons rencontré des élèves avec veste et cravate», détaille Christine Watier, la chef d'établissement de cette école catholique privée sous contrat. Très vite, elle est séduite par le fort sentiment d'appartenance et d'égalité qui s'en dégage. De retour à Nice, elle consulte les parents. Ils sont pour. Le «vêtement personnalisé» est alors imposé à la rentrée 2014. C'est au niveau de la coiffure que Christine Watier est la plus tatillonne : «Ici, pas de look d'adolescent, pas de crêtes, pas de côtés rasés. Les cheveux longs sont attachés.» Si la consigne n'est pas respectée, l'élève est renvoyé chez lui.

Fière de son expérience, Christine Watier affirme n'y voir «aucun inconvénient». Evitant soigneusement le terme d'uniforme, elle présente le vêtement personnalisé comme un remède miracle : «C'est une trace concrète de consignes virtuelles. Les enfants sont plus motivés et plus respectueux.» La directrice en est même persuadée, le polo bleu est à l'origine de la forte attractivité de son école. Cet été, elle a dû refuser 100 inscriptions, le double de l'année précédente.

«Fantasmer l’autorité»

Un enthousiasme que ne partagent pas les fédérations de parents d'élèves. Pour Liliana Moyano, présidente nationale de la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves), l'uniforme est loin d'être la panacée. «L'urgence de l'école d'aujourd'hui n'est pas là. Ce n'est pas parce qu'on va mettre un uniforme que les inégalités sociales vont s'envoler et que l'on réglera le problème de l'échec et du décrochage scolaire.» Même son de cloche du côté de la PEEP (Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public) pourtant plutôt classée à droite. «C'est une vieille idée qui ressort régulièrement. Mais il n'y a pas de demande particulière des parents d'élèves», précise la présidente Valérie Marty. Toutes deux s'accordent à dire que l'uniforme «n'est pas la priorité de l'école».

A Saint-Vincent-de-Paul, Fabio porte fièrement son polo bleu. Très impatient, le garçon de 3 ans découvre la classe dans laquelle il passera l'année. Ses parents ont déboursé près de 80 euros pour équiper leur fils aux couleurs de l'école. «J'ai choisi d'inscrire Fabio ici en partie parce qu'ils ont tous le même tee-shirt. Ça me plaît qu'il n'y ait pas de différences», explique sa mère, Magali. «Le matin, on ne réfléchit pas à la manière de s'habiller. Il n'y a plus de question de marques. Et puis le bleu, ça va bien aux filles et aux garçons», explique Nadia, une autre mère d'élève. Son mari, Houbi, est moins pragmatique et y voit le retour de la discipline : «Cette tenue permet de rapporter du respect et l'autorité en classe.»

C'est cette ficelle que tire Eric Ciotti. Pour lui, la tenue unique «participe à la reconstruction de l'école qui transmet des valeurs» telles que «l'égalité, la discipline, la fierté d'appartenance, le respect des valeurs de la République». Une idée de l'école qui fait bondir le sociologue Michel Fize : «Tous ceux-là font partie des demandeurs de la restauration de l'estrade, de l'autorité, de la levée des élèves devant le professeur. C'est le portrait de l'école ancienne dans une société moderne.» L'uniforme, une idée de l'école passéiste ? C'est également l'avis de Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU, principal syndicat enseignant du premier degré : «Je ne suis pas sûr qu'on puisse construire l'école de demain avec des propositions de grand-papa. La blouse sur les épaules ne résout pas les problèmes. On peut toujours fantasmer l'autorité à travers le symbole : l'uniforme, la coupe réglementaire ou encore le coup de règle sur les doigts, imagine-t-il. L'autorité passe avant tout par le bien-être et la réussite de l'élève.» Michel Fize poursuit : «Les corps de métiers adultes ont presque tous abandonné l'uniforme. C'est le cas des conducteurs de métro. Les élèves sont des travailleurs particuliers, mais ils restent des travailleurs malgré tout. Vouloir leur imposer l'uniforme est en contradiction avec l'esprit du temps.»

Pourtant, la commission d'enquête parlementaire mise en place après les attentats de janvier se raccroche à ce recours de l'uniforme comme remède aux maux de l'école de notre temps. Parmi les vingt propositions figurant dans son rapport remis en juillet, le sénateur (LR) du Doubs Jacques Grosperrin évoque le port d'une tenue d'établissement. «On s'est rendu compte qu'une partie de la population a du mal à accepter certains rites laïcs, parmi lesquels se trouve la tenue pour entrer dans un établissement scolaire», explique Jacques Grosperrin, convaincu que l'uniforme sera le garant de la laïcité à l'école. «On assiste à une multiplication des signes d'appartenance religieuse, par exemple avec les longues jupes que l'on appelle abaya. Le port de la tenue d'établissement peut aider à faire perdurer la laïcité à la française.» Aussitôt après les attentats, le député de Paris Bernard Debré (LR) avait devancé l'idée en déposant sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de loi relative au port de l'uniforme. Conscient que «ce n'est pas la réforme qui bouleversera l'école», dit-il à Libération, le parlementaire croit tout de même au symbole républicain fort de la tenue unique qui peut «apporter une plus grande autorité et obéissance au professeur».

«On est tous pareils»

A Saint-Vincent-de-Paul, les élèves de CE2, CM1 et CM2 sont déjà entrés en classe et ont débuté le programme d'histoire. Sur leurs épaules, le polo bleu. Mais sur les tables, des trousses à l'effigie de stars du foot ou de la chanson. Accrochés à leurs chaises, des cartables de marque. Les différences financières et culturelles gommées par le vêtement migrent vers les accessoires. «A l'époque où elle existait, la blouse n'a jamais rien effacé, note Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat des enseignants de l'Unsa. C'est un cache-misère. Certains auront des blouses Chanel et les autres Tati. Et une fois le portail franchi, il y a ceux qui rentreront de l'école à pied et en bus scolaire, et les autres monteront dans une voiture.» «On est tous les mêmes», répondent en chœur les élèves quand ils parlent de leur tenue. Mais devant cette quasi-unanimité, Malizzia n'est pas d'accord. «Moi, je n'aime pas trop. On est tous pareils, et c'est justement ça qui me dérange», dit cette élève de CM1. Au jeu des différences, Malizzia a trouvé une ruse, un accessoire pour se démarquer. «J'ai acheté des lunettes roses», sourit-elle comme pour dire qu'elles détonnent.