Quelle mouche a piqué Guillaume Lambert? Mis en examen depuis avril 2015 pour «usage de faux», «escroquerie», «recel d'abus de confiance» et «complicité de financement illégal de campagne électorale» dans l'affaire Bygmalion, l'ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy a fait de bien étranges révélations. Entendu le 7 juillet 2015 par le juge Serge Tournaire, il a nommément mis en cause deux fonctionnaires de l'Elysée.
Tout commence le 21 février 2012. Lors d'une réunion au QG de campagne, Guillaume Lambert découvre le coût des deux premiers meetings du candidat Sarkozy, Annecy (16 février) et Marseille (19 février), facturés respectivement 300000 et 600 000 euros par Event, la filiale événementielle de Bygmalion. «Les prix annoncés nous semblent d'une part disproportionnés avec la qualité moyenne des prestations, mais surtout totalement incompatibles avec les exigences d'une campagne au cours de laquelle nous savons que les meetings seront nombreux», a expliqué Lambert dans un courrier au procureur de la République de Paris. Dès le lendemain, 22 février, le directeur de campagne aurait donc demandé à Franck Attal, patron d'Event, de revoir sa copie et notamment le très onéreux poste vidéo. Selon Lambert, plusieurs réunions auraient alors été tenues afin de «réduire les coûts des meetings». Parmi les exemples donnés à la justice par le haut fonctionnaire : la suppression des «fonds rétro-éclairés» sur la scène, la réduction de la taille des estrades ou encore l'allégement de la scénographie.
Mélange des genres
«De quelles réunions parlez-vous, s'enquiert le juge Tournaire. Qui s'est chargé de ce travail de réduction de coûts?». Réponse de Guillaume Lambert : «Ce qui s'est passé, c'est que des personnels qui étaient du service audiovisuel de la présidence de la République se sont mis en congé de la présidence pour venir regarder dans le détail, avec les équipes d'Event, cette question des coûts techniques. Ils étaient chargés de voir avec Franck Attal et ses équipes comment garantir la maîtrise des coûts». Et Lambert de citer nommément deux responsables du service audiovisuel de l'Elysée, Claude V. et Bernard G. Des fonctionnaires de l'Elysée payés par l'Etat pour recadrer financièrement la campagne du président sortant? La manœuvre s'apparente au mieux à un mélange des genres, au pire à du détournement de fonds publics. «Où se trouve la documentation relative à ces actions de réduction de coûts?», a d'ailleurs insisté le juge Tournaire. «A ma connaissance, il n'y a aucune documentation sur l'organisation et le compte rendu de ces réunions», a répliqué Lambert embarrassé.
Joint par Libération, Claude V. dément formellement les allégations du préfet Lambert, qu'il trouve «effarantes et consternantes». Fonctionnaire à l'Elysée depuis de nombreuses années, il jure n'avoir jamais été détaché à la campagne de Nicolas Sarkozy. Le fonctionnaire admet simplement avoir donné quelques «conseils informels» sur l'image du candidat, mais en aucun cas avoir participé, ni de près ni de loin, à une quelconque réduction des coûts. «Je me réserve le droit de réagir», précise-t-il. Quant à Bernard G., il aurait, lui, pris «quelques jours de congés» pour se consacrer à la campagne, affirme un ancien cadre de l'équipe Sarkozy. Sans préciser si ces prestations ont été répercutées dans les comptes du candidat.
Quel rôle exact a joué la cellule audiovisuelle de l'Elysée dans la campagne de Nicolas Sarkozy? Le service, composé alors de 23 personnes, a en tout cas tourné à plein régime pendant quatre mois. Dans son rapport sur les dépenses de communication de l'Elysée, la Cour des comptes a d'ailleurs noté une «surconsommation» sur la période du 1er janvier au 15 mai 2012. Mais jusqu'ici, personne n'avait encore osé faire le lien avec la campagne du candidat Sarkozy.