Réunir des binômes de chefs d'entreprise et de représentants des salariés issus de plusieurs sociétés dans un groupe de travail, le tout pour aborder le dialogue social. Le pari était risqué, tant «le sujet est délicat», note Christine Martin-Cocher, chargée de mission à l'Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l'innovation sociale et l'amélioration des conditions de travail (Aravis).
Pourtant, l'expérience mise en œuvre par cette association, membre du réseau de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), dès 2011, soit bien avant que le rapport Combrexelle ne fasse la promotion du dialogue social de terrain, a fait ses preuves. «L'idée était d'aider les partenaires sociaux à s'emparer des questions sociales. A l'époque, les entreprises avaient vu se succéder de nombreuses injonctions de négociation, sur les risques psychosociaux, les contrats de génération ou encore la pénibilité. Cela saturait. On a voulu les aider à mettre tout cela en cohérence », raconte la chargée de mission.
«Il ne s'agissait pas de mettre les acteurs face à face, mais de leur faire faire un diagnostic, pour que les décisions reposent sur la réalité. Sinon, les entreprises font des accords au photocopieur, juste pour être en conformité avec la loi », ajoute Jean-Paul Peulet, responsable à l'Anact et initiateur du projet à l'échelle nationale. Au total, près de 400 entreprises, surtout des PME, ont bénéficié du dispositif. Dont une trentaine en Rhône-Alpes.
Structurant. La méthode ? D'un côté, des employeurs volontaires. De l'autre, des représentants du personnel désignés par leurs pairs. Et au milieu, un animateur qui, une fois par mois, pendant six mois, «les aide à se construire une culture commune sur les sujets de négociation», explique Christine Martin-Cocher. «J'ai vite compris que ce serait structurant pour nous », se souvient Philippe Mermet. Directeur des ressources humaines de Pluralis Habitation, un bailleur social regroupant 230 salariés. Il a participé à l'expérience en 2014 : «Chez nous, il y avait déjà un bon climat social, mais là on est allé plus loin. Et puis l'effet groupe nous a forcés à aller vite. Quand on est seul, on est avalé par le quotidien. Là, nous avions des comptes à rendre. Résultat, en six mois, nous avons signé un accord intergénérationnel. Sans cela, nous en aurions eu au moins pour un an.»
Dans le huis clos de ces groupes de travail, les attentes des parties remontent. Les représentants de salariés plaident pour une meilleure communication. Les patrons expriment d'abord une réticence à l'égard des syndicats. «Mais ils ont finalement été surpris de voir qu'ils étaient en phase avec eux, et plutôt pragmatiques», note Christine Martin-Cocher, de l'Aravis. Autant de craintes à désamorcer : celles des salariés, «qui ont peur d'être broyés par la logique économique», et celles des employeurs, «persuadés que leurs employés ne comprennent pas les impératifs de performance de l'entreprise». Soit un énorme fossé, «davantage basé sur des représentations que des vérités», conclut l'animatrice.
Puis, au fil des rendez-vous, les postures tombent. «Un jour, un représentant des salariés m'a confié qu'il avait pu parler à son DRH hors du cadre officiel, alors qu'ils faisaient du covoiturage pour venir au groupe de travail», poursuit Christine Martin-Cocher. «Ces groupes de travail ont démystifié les rapports entre partenaires sociaux», reconnaît le DRH Philippe Mermet. «Nous étions tous au même niveau autour de la table. Quand une personne lançait un sujet, c'était plus facile de rebondir», ajoute Emeline Baffert-Forge, secrétaire du comité d'entreprise de Pluralis Habitation avec qui il était en binôme.
Enrichissement. Mais pas question pour autant de supprimer la phase de négociation. «Nos groupes de travail sont là uniquement pour apporter de la matière première», note la chargée de mission. «Cela nous a enrichis, mais en parallèle, nous avions monté des groupes de travail internes pour la négociation. Nous avancions sur deux niveaux», poursuit le DRH. Une méthode de dialogue social qu'il utilise encore aujourd'hui, ce qui lui permet d'aborder sereinement la perspective d'un élargissement de la négociation d'entreprise, tel que proposé par le rapport Combrexelle. «Le dialogue social est une source de progrès et d'enrichissement. D'autant que la règle générale n'est pas toujours adaptée à nos spécificités», explique-t-il.
Reste une limite toutefois : «Ne pas passer toutes ses journées à faire cela.» Car la négo demande «du temps et de l'énergie», ajoute la représentante des salariés Emeline Baffert-Forge. «Il ne faut pas être noyés, sinon la qualité risque de s'en ressentir. De plus, dans les entreprises où les moyens sont plus faibles, le risque, c'est que ces nouvelles négociations se fassent au désavantage des employés.» D'où la conclusion de Jean-Paul Peulet, de l'Anact : «La négociation, ça s'apprend.»