«Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier.» Il est loin le temps où passant dans les rangs, monsieur l'instituteur articulait à haute et intelligible voix les premiers mots de l'impossible texte de Prosper Mérimée à une quarantaine d'enfants les mains crispées sur leur plume.
C'est pourtant le retour de ce sacro-saint exercice que Najat Vallaud-Belkacem («Oui aux dictées quotidiennes à l'école») a choisi de mettre en tête de gondole des nouveaux programmes scolaires : les mânes de Jules Ferry pour cacher la forêt.
Car en agitant la dictée sous les yeux du parent d’élève, on satisfait à bon compte le ministre qui sommeille en lui et qui a des idées souvent bien arrêtées sur les méthodes que doit employer l’Education nationale (en gros celles qui étaient utilisées quand il était lui-même écolier, car, c’est bien connu, c’était mieux avant, quand le mont Blanc faisait 4 807 m, que les poésies étaient signées Maurice Carême et que la Loire prenait sa source au mont Gerbier de Jonc).
Pourtant on ferait affront à la ministre si on croyait vraiment à ce qu'elle dit. Car si elle entend susciter ce souvenir pour apaiser les réacs de tout poil, elle n'imagine pas une seconde le retour quotidien de Mérimée. La dictée, ce n'est pas ça, ce n'est plus ça. Quand il défend la place majeure à accorder à l'écriture («au moins une séance quotidienne»), le Conseil supérieur des programmes n'entend pas ressusciter le pensionnat des Choristes, mais plutôt promouvoir la pratique de l'écriture à chaque instant afin qu'elle devienne «l'ordinaire de l'écolier».
La dictée assénée par le maître depuis l’estrade, celle qui conforte les premiers de la classe habitués au 20/20, et qui enfonce les plus faibles (passer de 40 à 20 fautes ne les désabonne pas de l’infamant zéro), n’a jamais fait faire de fulgurants progrès en orthographe. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, la dictée de papa n’existe plus sous cette forme. Mais en ressusciter le goût dans l’imaginaire collectif fait taire les zélateurs du «tout fout le camp». Un coup marketing habile de la part de la ministre.