Il faudra garder en mémoire l'entretien donné au Parisien par Nicolas Sarkozy, sur un point en tout cas : le passage consacré au Front national. En quelques phrases, l'ancien président livre une analyse dont il n'y a pas grand-chose à retrancher. Bien sûr, il y a derrière ses propos un calcul politique qui découle de la compétition féroce que se livrent droite et extrême droite. Mais il ne faut pas toujours, quand un homme politique dit une chose juste, l'attribuer au simple cynisme ou considérer que cela ne veut rien dire. Il faut le prendre au mot. «Tant que je serai président des Républicains, dit Nicolas Sarkozy, je n'accepterai aucun accord municipal, départemental, régional, national avec le Front national et ses alliés. Absolument rien.» Clair et net, donc.
On s'en souviendra quand, entre chien et loup, dans l'hésitation des tractations de second tour, ici ou là, un responsable LR tentera de sauver son élection en dînant avec le diable. Pourquoi cet ostracisme, diront les bons esprits qui militent par la bande en faveur d'un rapprochement avec le FN ? Parce que «Mme Le Pen est pire que son père, tranche Sarkozy. C'est le père, la culture en moins.» Là encore, celui qu'on accuse, parfois à raison, de courir après les idées du FN, ne cherche pas midi à 14 heures : pour lui, si l'on comprend bien, tous ceux qui voient dans l'évolution du FN une forme de normalisation républicaine se trompent. Pourquoi ? Nicolas Sarkozy n'explicite pas. Mais on peut facilement deviner ce qu'il veut dire. Sous un discours plus policé, débarrassé de certaines scories, dénué d'antisémitisme ou de nostalgie Algérie française, ce sont les mêmes réflexes, les mêmes attitudes, la même philosophie intolérante qui s'expriment. La preuve ? «Quand j'ai entendu Mme Le Pen éructer avec une violence inouïe à propos de la photo de ce petit garçon, je me dis, mais comment peut-on parler comme ça ? C'est insupportable.» En effet…
L'extrême radicalité des propos tenus par les responsables du Front à l'endroit des réfugiés - des terroristes, des déserteurs, des faux persécutés, il ne faut pas en accueillir un seul, etc. - montre bien que le FN reste ce qu'il a toujours été : un parti nationaliste vindicatif et fermé, qui fait passer la défense obsessionnelle de l'identité ethnique du pays avant toute considération d'humanité. Mais le conflit entre Marine Le Pen et son père ne montre-t-il pas, au bout du compte, que le lepénisme se civilise, qu'il rompt avec un passé chargé ? Nicolas Sarkozy va au-devant de l'argument. «Quand Mme Le Pen dit que son père est devenu infréquentable, elle se rend compte qu'il est infréquentable depuis trois mois ? […] Quand elle a repris la petite entreprise familiale, son père n'était pas infréquentable ? Le détail, tout ça, ce n'était pas avant ?» La remarque est plus importante qu'on pourrait croire. Assez vite, devant la montée du Front national, des bons esprits ont expliqué doctement qu'il ne fallait pas «diaboliser» le FN, que l'anathème était contre-productif, qu'il fallait admettre, finalement, qu'un parti légal était un parti comme les autres, qu'il fallait s'en tenir à la réfutation de son programme, comme on le ferait de toute autre formation.
Or c'est maintenant Marine Le Pen qui «diabolise» le FN d'avant, contredisant d'un seul coup les analyses mollassonnes avancées auparavant, y compris chez certains intellectuels progressistes. Et ce que suggère Sarkozy, c'est que le revirement de la fille envers son père est tout sauf sincère. Pendant des décennies, elle a accepté sans mot dire les débordements paternels. C'est quand ces déclarations à l'emporte-pièce sont devenues tactiquement nuisibles qu'elle les a condamnées publiquement, déclenchant le mécanisme de la rupture. Sous des habits neufs, c'est le même noyau d'idées, la même dureté, la même doctrine. Voilà, au fond, ce que dit Nicolas Sarkozy. Qui peut dire qu'il a tort ?