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Libération
Face-à-face

Hidalgo contre Macron, les échaudés du dimanche

La maire de Paris enrage contre l’application de la loi qui a élargi la possibilité d’ouverture dominicale des magasins.
Anne Hidalgo et Emmanuel Macron. (Photos Marc Chaumeil et Albert Facelly)
publié le 20 septembre 2015 à 19h36

A première vue, l'épineuse affaire de l'ouverture des commerces le dimanche est réglée. La loi Macron a été adoptée. Le texte passe de cinq à douze les «dimanches du maire», ouvertures exceptionnelles autorisées par arrêté municipal partout en France. Il crée aussi à Paris, Cannes, Deauville et Nice des zones touristiques internationales (ZTI), où la fête commerciale pourra battre son plein tous les dimanches de l'année. Reste encore à publier un décret précisant les critères de définition des ZTI ainsi qu'un arrêté qui pose leurs périmètres. Sans compter la négociation par branche avec les syndicats, qui ne s'annonce pas facile. Mais, bon, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, peut en principe biffer l'ouverture dominicale des commerces de sa to-do list.

Sauf que… pas si vite ! Depuis le vote de la loi, la maire de Paris, Anne Hidalgo, ne décolère pas. Elle ne digère ni le passage de cinq à douze ZTI, qu'elle n'a pas vu venir. Encore moins leur découpage qui dépasse de beaucoup les zones des grands magasins parisiens. Et ne supporte pas qu'à Paris, les «dimanches du maire» soient ceux du préfet.

Dans la capitale, c'est le représentant de l'Etat qui décide des ouvertures : vieux reste administratif de la gestion de la capitale par l'Etat. La maire est en guerre sur les deux fronts. Elle refuse de participer à la consultation sur les ZTI. Et déposera, dans les jours qui viennent, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les «dimanches du maire» confisqués par le préfet. Anne Hidalgo a fait de cet échange une affaire publique. Le décret ministériel précisant les critères définissant qu'une zone est touristique et internationale, et l'arrêté en dessinant les périmètres sont prévus fin septembre. Leur contenu dira si la bataille a porté.

Anne Hidalgo sort les poings

Face à l’attitude du ministre  de l’Economie, la maire de Paris porte le débat en place publique et dépose une QPC.

Sa position

Anne Hidalgo, maire de Paris, est-elle contre l'ouverture des commerces le dimanche ? Pas totalement, pourvu qu'elle soit limitée, contrôlée et compensée pour les salariés. Du Hidalgo pur sucre : pas d'opposition dogmatique, dialogue avant tout et compromis à la fin. Grâce à des amendements «élaborés avec le cabinet de monsieur Macron», la maire pensait être suivie dans sa méthode. Mais, constate-t-elle dans une interview au Parisien, «ils ont été tout simplement rejetés».

Son attitude

Loyale soutien de la gauche gouvernementale, Anne Hidalgo règle généralement ses différends avec l'Etat de façon discrète. Face à l'atypique Macron, changement de ton et direction la place publique. «J'ai été maltraitée», déclare-t-elle au Parisien. Surtout à l'Assemblée nationale. «Dans le débat parlementaire, on n'entendait parler que de quatre ZTI [zones touristiques internationales, ndlr], en gros autour des grands magasins», explique son entourage. Et voilà qu'il en surgit douze.

Ulcérée, Anne Hidalgo refuse de rencontrer le ministre et lui envoie un méchant courrier. «La standardisation des grandes villes monde n'est pas le projet que je porte pour Paris», écrit-elle. Résumé d'une philosophie et rappel, au passage, de sa légitimité tirée du suffrage universel (ce qui n'est pas le cas de Macron).

Ses armes

Comme la maire l'admet elle-même, elle n'a «qu'un avis consultatif» et ne s'attend pas à ce que le ministère en tienne compte. Sur le plan légal, elle va déposer une question prioritaire de constitutionnalité sur les «dimanches du maire». Est-ce bien constitutionnel que Paris soit la seule ville où le préfet les décide à la place de l'édile ? Pour les ZTI, en revanche, il ne lui reste que le débat public. Qu'elle a nourri en envoyant ce courrier mécontent au ministre : «Les zones que vous projetez d'instituer révèlent le fantasme d'une ville entière dédiée au tourisme consumériste».

Ses alliés

Premiers, et pas des moindres : les syndicats. Réunis, à l'exception de la CFDT, dans le Clic-P (Comité de liaison intersyndical du commerce parisien), ils ont multiplié les recours contre les ouvertures nocturnes ou dominicales, et les ont gagnés. L'ouverture définitive étant soumise à des accords de branche conclus après promulgation de loi, les organisations syndicales vont peser. «L'étape contraignante va être celle de ces accords. On n'en est pas encore là», rappelle-t-on dans l'entourage de la maire.

Politiquement, Anne Hidalgo a des alliés dans son camp, et d'abord les écologistes et le Front de gauche. Ou plus étonnant, Michel Sapin, ministre des Finances. Celui-ci aurait écrit à son voisin de bureau Emmanuel Macron qu'on «a toujours intérêt à écouter ceux qui sont sur le terrain». C'est ainsi qu'il a résumé sa pensée sur une radio. Enfin, la maire compte sur les Parisiens. Eux sont les mieux placés pour voir qu'il est grotesque de dessiner une ZTI dans le secteur du centre commercial Italie 2, où l'on ne croise pas un touriste.

Ses craintes

Pour Anne Hidalgo, une ouverture massive du grand commerce le dimanche annonce des problèmes. Sociaux d'abord, car le personnel de ces grands magasins ou de ces chaînes est souvent féminin, banlieusard ou soutien de famille. Techniques ensuite. «Nous avons des questions qui concernent les services de voirie, les transports», rappelle-t-on à la mairie. Sans compter la survie de «la diversité commerciale de Paris» qui fait partie «de l'attractivité de [la ville]».

Ses chances de réussite

Faibles. «On va voir dans dix jours si le ministère a fait évoluer sa cartographie», dit-on au cabinet de la maire. Si l'arrêté fixant les périmètres des ZTI rétrécit ces zones, Anne Hidalgo n'aura pas crié dans le désert.

Emmanuel Macron compte ses points

Le ministre, qui bénéficie du soutien des grands commerces et de la bénédiction de la droite parisienne,  ne veut pas perdre de temps.

Sa position

L'ouverture des magasins le dimanche est, aux yeux d'Emmanuel Macron, une clé pour «l'activité et la création d'emplois». «Pour les zones touristiques internationales à fort potentiel d'activité, il est de l'intérêt national d'ouvrir les commerces le dimanche et en soirée», a-t-il expliqué en commission des lois de l'Assemblée.Au sujet de ces zones, le ministre annonçait d'emblée la couleur : «Le projet de loi prévoit que l'exécutif reprenne la main pour en définir les contours après concertation avec les collectivités concernées.» En revanche, le ministre de l'Economie estimait «donner plus de libertés aux élus locaux» en leur permettant de fixer eux-mêmes les dates des douze «dimanches du maire».

Son attitude

«Mesdames et Messieurs les élus locaux, on s'occupe de tout.» Craignant que Paris ne le suive pas dans son offensive dominicale, Emmanuel Macron prend les devants dès la rédaction du texte, en prévoyant que pour les zones touristiques, l'Etat fixe les périmètres. Pendant le débat parlementaire, le locataire de Bercy écoute poliment les arguments de Paris, développés dans les amendements de Sandrine Mazetier, avant de les rejeter en bloc en séance. Quant aux «dimanches du maire», décidés à Paris par le préfet, c'est la faute à l'histoire. «Notre débat ne portait pas sur le statut de Paris», explique-t-on dans l'entourage du ministre. D'une façon générale, Macron fait savoir qu'il n'a pas de temps à perdre. Certes, il invite la maire de Paris à le rencontrer. Mais avant de l'écouter, il pose ses conditions : «Si c'est un avis constructif, j'en tiendrai compte. Si c'est un avis de principe qui cherche à faire polémique, il ne m'apporte pas grand-chose.» En réponse, la maire reste chez elle et lui envoie une lettre désagréable. Emmanuel Macron sait créer un climat. Et des polémiques. Il en a fait même une spécialité. Comme en fin de semaine dernière, lorsqu'il a remis en question le statut des fonctionnaires. Avant de se faire recadrer par le Président et le Premier ministre.

Ses armes

Elles sont solides. D'abord, il a l'appui de Manuel Valls, qui a tellement voulu être sûr que la loi pour la croissance et l'activité soit adoptée, qu'il a dégainé à trois reprises l'article 49-3. Ensuite, Macron a maintenant son texte, bel et bien au Journal officiel. «Il y a eu débat, consultation avant et après. Et la mairie a eu un mois pour répondre», rappelle un proche du ministre. Comme elle ne l'a pas fait, le cabinet du ministre a envoyé quelques-uns de ses membres consulter directement les maires d'arrondissements des ZTI. Au risque de ne pas faire un bien fou aux relations ville-Etat.

Ses alliés

En gros, tout le grand commerce soutient le ministre. Avec quelques enragés comme l'Alliance pour le commerce qui voudraient des ZTI plus larges et plus nombreuses. Macron a aussi l'encouragement des milieux économiques. Il a enfin, bizarre cerise, la bénédiction de toute la droite parisienne, qui n'a cessé de remettre le débat sur le tapis au Conseil de Paris. Les touristes, «qui errent comme des âmes en peine le dimanche boulevard Haussmann», reviennent régulièrement dans la bouche de Nathalie Kosciusko-Morizet, chef de file LR à Paris.

Ses craintes

Le gouvernement n’a pas intérêt à ce que les accords de branche capotent. La loi est plus qu’évasive sur les rémunérations et les compensations des dimanches travaillés. Un affrontement social à la veille des régionales n’est pas le rêve de Matignon. Macron craignait surtout d’avoir à négocier les ouvertures parisiennes rue par rue.

Ses chances de réussite

Excellentes. Même mal née, la loi est là. Mais «la carte évoluera», promet-on au ministère.