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Libération
Rencontre

Myriam El Khomri : «Je sais de quoi je parle»

«Libération» a rendu visite à la nouvelle ministre du Travail, qui met en avant sa connaissance du terrain appréciée du Président pour faire taire les critiques en inexpérience.
Myriam El Khomri, dans son bureau, à Paris, mercredi 16 septembre. (Photo Christophe Maout)
publié le 21 septembre 2015 à 18h16

Lorsque son portable a sonné ce lundi 31 août passé 20 heures, Myriam El Khomri était en train de lire une histoire à ses filles. Au bout du fil, François Hollande. Quinze minutes de discussion avec le président de la République pour finir par accepter le poste proposé : ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. A 37 ans, celle qui explique qu'il «ne faut jamais rien demander dans la vie» se retrouve propulsée au premier rang du gouvernement, un an à peine après avoir quitté son poste tout neuf d'adjointe à la sécurité à la mairie de Paris pour s'installer au secrétariat d'Etat à la Ville.

Deux semaines ont passé depuis sa nomination. On la retrouve, sous les dorures de son ministère, au rez-de-chaussée du 127 rue de Grenelle. En quinze jours, elle a enquillé les rendez-vous avec les partenaires sociaux, les visioconférences avec les préfets, les visites à son administration. Les dossiers et parapheurs verts, roses, bleus, s'empilent sur son bureau Empire. Elle s'est rendue quatre fois sur le terrain, a répondu présente à deux matinales (RTL et Europe 1) et deux émissions télé (une heure sur France 5 en direct et Clique sur Canal +), accompagné le chef de l'Etat et la moitié du gouvernement en Haute-Saône au chevet des «ruralités» puis au Maroc, réceptionné le rapport Combrexelle et ses propositions pour réformer le code du travail… Plus le temps de lire une histoire aux enfants : «Je les ai quand même amenées à l'école ce matin», se rattrape-t-elle.

Sa nomination rue de Grenelle est à ranger dans la case «surprise» du quinquennat de François Hollande. Pour prendre la suite de François Rebsamen, reparti diriger sa ville de Dijon, les uns pariaient sur un grognard hollandais style Bruno Le Roux (patron des députés PS). D'autres y voyaient un spécialiste des relations sociales et du code du travail genre Alain Vidalies (actuel secrétaire d'Etat aux Transports). «Coup de com !» ont raillé certains de ses camarades : la benjamine du gouvernement, franco-marocaine - elle est née à Tanger d'une mère française et d'un père marocain -, aurait été propulsée numéro 9 du gouvernement pour incarner la «génération Hollande» en période préprésidentielle.

Restaurant

Une belle prise politique, d'autant qu'elle n'est pas une proche du Président. Alors qu'elle est au PS depuis 2002, sa première rencontre avec François Hollande a eu lieu en juillet 2014. El Khomri est invitée à dîner par le député de Paris Daniel Vaillant avec d'autres «camarades» du XVIIIe arrondissement. La petite bande est installée dans un restaurant du XIXe quand Hollande passe la porte et vient s'installer avec eux. Discrétion oblige, Vaillant n'avait prévenu personne. Elle rapporte au chef de l'Etat ce qu'elle voit et entend sur le terrain, les difficultés sociales qu'elle côtoie. Hollande s'en souviendra.

A peine sa nomination au Travail connue, Myriam El Khomri a dû encaisser un bon paquet de critiques venues de son camp : «Bosseuse mais ne connaît rien au monde syndical», «Hollande et Valls ont vu un peu grand», «pas assez de poids politique pour s'opposer à Macron», «la preuve que la réforme du Travail sera pilotée à Matignon»… La ministre s'en amuse : «Avec le nombre de dossiers sur mon bureau, je n'ai pas eu le temps de lire la presse.»

Les médias ne l'ont pas épargnée non plus. Sur RTL, Olivier Mazerolle l'a cueillie dans son interview matinale en lui demandant sans gêne «quel trait de caractère» lui donnait le fait d'«être marocaine» par son père et pourquoi elle a gardé son nom de jeune fille en politique. Deux jours plus tard, lorsque Jean-Pierre Elkabbach lui demande si «c'est vrai» qu'elle n'a «aucune expérience en entreprise», Myriam El Khomri a commencé, agacée, à dérouler son CV pour faire cesser ce procès en incompétence : «Hôtesse d'accueil», «vendeuse de maillots», «ouvrière agricole»… Des petits boulots étudiants avant quelques stages - dont un premier chez Claude Bartolone au ministère de la Ville sous Jospin - et une embauche comme chargée de mission à la mairie du XVIIIe. «Je suis bien dans mes baskets. Je sais ce que j'ai envie de faire. On me jugera sur les faits, répond-t-elle à Libération. On n'attend pas du ministre du Travail qu'il connaisse le code du travail sur le bout des doigts. Quand on a été confronté aux territoires les plus touchés par le chômage, on sait de quoi on parle.»

Pour François Hollande, promouvoir Myriam El Khomri au Travail, c'est tenter de redonner vie à une fonction plombée depuis 2012 par les chiffres sinistres et les courbes du chômage plombantes. Objectif : que ce poste ne soit plus, dit-elle, celui «des statistiques mensuelles», auxquelles le Président a pourtant lié son sort personnel. Y afficher une jeune ministre, jugée bosseuse, avenante et à l'écoute quand elle visite une agence Pôle Emploi ou une mission locale. En faire un marqueur de gauche.

Ce lundi 31 août, au téléphone, François Hollande lui a dit avoir «apprécié [sa] méthode, celle du terrain», raconte celle qui a débuté, non encartée au PS, comme chargée de mission prévention et sécurité à la mairie du XVIIIe. Elle revendique «130 déplacements en un an» à son secrétariat d'Etat. «Le Président m'a demandé de poursuivre [au Travail] ce que j'ai porté dans les quartiers populaires. J'ai fait du développement économique et de l'emploi dans ces quartiers ma marque de fabrique à la Ville», insiste-t-elle.

Pause clope

Son précédent boulot, El Khomri en parle comme si elle s'en occupait encore. La veille de notre rencontre au ministère du Travail, on l'a suivi en déplacement à Lure (Haute-Saône). Sur la terrasse attenante au bureau du sous-préfet, profitant d'une pause pour enchaîner deux clopes en dix minutes, elle se met à parler au présent de la politique des quartiers en zone rurale. Avant de se reprendre et d'en parler au passé : «Je serai aussi évalué sur l'emploi dans ces quartiers», synthétise-t-elle.

Lorsqu'on l'interroge sur ses dossiers à venir, Myriam El Khomri contrôle sa parole, détache bien tous ses mots. Assise dans un fauteuil de son bureau, ses mains croisées et sa posture bien droite trahissent sa prudence. Surtout, ne pas dire de bêtise. Elle insiste sur la «méthode» du Président, celle du «dialogue social». Sa «forte ambition» pour promouvoir le «compte personnel d'activité» et «mieux sécuriser les parcours professionnels». La ministre énumère ses chantiers : la garantie jeune, les «150 000 décrocheurs» qu'elle veut «rattraper», l'apprentissage, la lutte contre les discriminations à l'embauche, la reconversion professionnelle des seniors, la «qualité» du service public de l'emploi, l'aide aux TPE et PME… Myriam El Khomri déroule ses sujets, manque encore d'assise sur le fond. Et sur le gros morceau qui peut lui coûter son image, elle dispose de quelques formules taillées pour la communication : «La réforme du droit du travail, ce n'est pas forcément une régression sociale, c'est renforcer le dialogue social.» Ou encore : «Plus de souplesse, ça ne veut pas dire moins de garanties.» François Hollande et ManuelValls peuvent être rassurés, bonne élève, elle ne s'aventurera pas hors des cadres fixés.

Pouponnière Delanoë

Myriam El Khomri est la troisième femme à emménager rue de Grenelle. La troisième de gauche. Avant elle : Martine Aubry et Elisabeth Guigou. A-t-elle pensé à la première en entrant dans son nouveau bureau ? «Bien sûr !» lance-t-elle avant de le jurer : «Mon ministère est un ministère de progrès social. Un ministère de luttes sociales, de conquêtes sociales», s'enthousiasme-t-elle. Les mains de la ministre sont maintenant relâchées. Son débit de parole bien plus rapide.

Depuis qu'elle a sa carte au PS (2002), elle dit ne pas avoir voulu entrer dans une chapelle socialiste. «Je ne suis pas une femme de courant. Mon école, ça a été la mairie de Paris, souligne celle qui vient tout de même de la pouponnière Bertrand Delanoë. Je suis de gauche, je suis socialiste.» On lui fait remarquer que la manière dont elle parle des «conquêtes sociales», des 35 heures, d'Aubry, la situe bien plus à gauche que Valls et Macron. Elle se met subitement à nager à contre-courant et à parler de «prise de risque», de «ce qui permet à une personne d'innover et permet la croissance». Elle n'a pas, non plus, tous les réflexes socialistes du poste. Parler, par exemple, de «cotisations sociales» et non de «charges». C'est la période d'essai.