Qui, à gauche, peut affirmer sans mentir qu’il connaissait Aléxis Tsípras ce 28 février 2012, jour de sa première sortie politique à Paris, en pleine campagne présidentielle française ? Chez les socialistes, personne. Au Front de gauche, seul le patron du PCF, Pierre Laurent - qui l’avait invité ce jour-là pour une conférence de presse avec d’autres responsables du Parti de la gauche européenne (PGE) devant à peine trois journalistes -, pouvait épeler sans faute son nom. Même Jean-Luc Mélenchon n’était pas encore familier du futur Premier ministre grec.
Trois ans et demi et trois victoires dans les urnes plus tard (deux législatives et un référendum), toute la gauche s'arrache Tsípras. Au PS, il est passé du statut du méchant «Mélenchon grec» à l'«exemple» à suivre. Pour les uns, Tsípras est devenu un homme politique «responsable», justifiant la politique européenne et nationale de François Hollande. Pour les autres, il est le symbole de cette gauche qui tente de «résister» aux politiques d'austérité, un «point d'appui» pour «réorienter l'Europe». Au Front de gauche, après avoir cru au héros pouvant «faire plier» la Troïka, on se divise sur son cas. Socialistes, écologistes, communistes ou mélenchonistes, chacun invoque la Grèce et Tsípras pour mieux justifier sa propre stratégie… à Paris.
Pour Hollande «Un progressiste courageux»
On est priés de ne pas chercher de sous-entendus dans les analyses élyséennes du scrutin grec. C’est tout de même très tentant quand François Hollande n’hésite pas à faire du score obtenu par le leader de Syriza un succès pour les partisans de la construction européenne et de l’euro, et même une victoire venant légitimer la gauche «réaliste», celle qui mène une politique courageuse quoique à rebrousse-poil de son camp.
Après un été ponctué de coups de fil avec Athènes, le chef de l'Etat a d'ailleurs téléphoné à Tsípras dès dimanche soir, histoire de saluer son «succès plus large que prévu». Sans s'attarder sur le score du partenaire officiel des socialistes français, le Pasok, qui a culminé à 6 % des suffrages. Mais le résultat de ces législatives en forme de coup de poker, c'est aussi, selon Hollande, «un message important pour la gauche européenne qui, avec ce résultat, confirme que son avenir est dans l'affirmation de valeurs, de principes de progrès et de croissance mais aussi dans le réalisme».
En juillet, même si Hollande jugeait Tsípras «agréable et très formé politiquement», ses conseillers réservaient leur jugement sur ce Premier ministre iconoclaste et, a priori, tellement éloigné du biotope de leur patron. «Soit c'est un fou, soit c'est un génie politique», lâchait l'un d'eux, décontenancé par la pratique politique du dirigeant grec qui venait d'annoncer un référendum. «Il y a une forme de dignité dans son itinéraire. Les Grecs ont le sentiment de résister», ajoutait toutefois le Président en petit comité.
Aujourd'hui, l'Elysée en pince officiellement pour ce «pro-européen» dont le parcours depuis janvier valide à distance les choix hollandais face aux critiques de la gauche radicale française. «Tsípras est un progressiste courageux qui veut diriger et faire avancer son pays et non protester», balance un conseiller du président s'enthousiasmant pour le côté «pragmatique et démocratique» du Premier ministre qui a choisi de retourner aux urnes à chaque étape pour se relégitimer. «C'est une leçon pour tout le monde dans notre vieille Ve République», concède un dirigeant de la majorité.
La victoire de Tsípras est une «bonne nouvelle pour la gauche qui assume le réel avec courage», renchérit-on à Matignon, où d'aucuns appellent «l'aile gauche» hexagonale à s'inspirer de Tsípras, «qu'elle a encensé et qu'elle devrait continuer de soutenir».
Pour l’aile gauche du PS «Un guerrier »
Il est l'unique rayon de soleil dans une Europe dominée par les conservateurs et les libéraux pour cette gauche socialiste qui regrette que Hollande n'ait pas, selon eux, osé «mener la bataille» en début de quinquennat pour «renégocier» le pacte budgétaire européen. Tsípras est la preuve qu'il est «possible de chercher des alternatives aux politiques d'austérité».
«Il faut l'aider. Parce qu'il continue d'incarner un espoir. Pas seulement en Grèce mais dans toute l'Europe, fait valoir l'eurodéputé PS Emmanuel Maurel. La leçon qu'on peut tirer de cet été n'est pas qu'il a plié mais que pour infléchir la politique européenne, un seul pays ne suffit pas.» Et ces socialistes d'exhorter désormais Hollande à utiliser ce «levier grec» pour «inverser le rapport de forces en Europe».
Pour Christian Paul, autre chef de file de la minorité socialiste, le Premier ministre grec est ainsi un «guerrier qui va continuer ses batailles». «La prime va aujourd'hui à une gauche authentique et combative, poursuit-il. L'épreuve connue en juillet ne signe pas la fin de ses combats.» Voir Tsípras jouer le jeu de l'exercice du pouvoir, s'être débarrassé de son aile anti-euro et, malgré tout, gagner les élections, cela valide pour eux leur stratégie de recoller les bouts d'une gauche française rouge-rose-verte, victorieuse en 2005 contre le traité constitutionnel européen.
«La gauche anti-euro n'a pas d'avenir, avance l'eurodéputé PS Guillaume Balas. En revanche, il est aujourd'hui possible de faire converger, sans sectarisme, une gauche qui veut faire autrement en Europe.» Et, après Aléxis Tsípras, ils misent sur Pablo Iglesias en Espagne et Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. Autant d'exemples pour crédibiliser le combat qu'ils mènent en France.
Pour le Front de gauche «Un camarade » qui fait débat
La victoire de Syriza leur donne le sourire. La gauche qui bat la droite, tout ça. Au Front de gauche, le débat est ailleurs. Ces dernières semaines, Jean-Luc Mélenchon a pris ses distances avec Aléxis Tsípras. Le patron du Parti de gauche, pas très fan de la «capitulation» signée à Bruxelles en juillet, a passé du temps avec, l'ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis pour causer d'un «plan B». Celui d'une sortie de l'euro. Du coup, les prochains gestes de Tsípras seront scrutés. Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche, explique : «On n'a jamais lâché ou taxé Aléxis Tsípras de traître. Ce n'est pas notre adversaire. Mais il a fait des mauvais choix. Aujourd'hui, sa victoire nous réjouit mais les prochaines négociations nous indiquerons si Tsípras est du côté de la troïka ou du peuple.»
Pendant ce temps au PCF, on réaffirme que la sortie de l'euro n'est pas une solution et on rappelle que «Tsípras est un camarade de toujours. Et nous, on ne l'a jamais oublié», explique le porte-parole Olivier Dartigolles. Pierre Laurent, le leader communiste, était sur scène vendredi à Athènes au dernier meeting de Tsípras. Et, au lendemain de sa victoire, il a déclaré : «A nous de prendre le relais pour des victoires en France qui permettront de libérer tous les peuples européens de l'austérité, changer la table des négociations pour changer l'Europe.»
A moins de deux ans de la présidentielle française, le Front de gauche est en crise : tout le monde parle de «nouveau mouvement» type Syriza ou Podemos, mais personne n'est capable de s'entendre sur une stratégie (par exemple pour les régionales). Eric Coquerel admet, dans un premier temps, que le Front de gauche n'a pas réussi à «traduire l'élan de 2012». Mais il veut croire que les «4 millions d'électeurs n'ont pas disparu».
Comment retrouver un nouveau souffle ? Pour Olivier Dartigolles, «il faudrait créer une plateforme avec des partenaires comme Duflot, Laurent, Mélenchon, Montebourg pour trouver des solutions». Et le porte-parole communiste de mettre en garde : «Si on n'arrive pas à s'entendre et à évoluer ensemble, en 2017, on se retrouverait dans une situation extrêmement dangereuse.»