La chose est suffisamment rare pour être soulignée. Dans un ouvrage à paraître jeudi, le président de la République prend la plume. Soit une préface de cinq pages rédigée par François Hollande en personne pour défendre le dialogue social. L'exercice n'a rien de risqué, tant Jacky Bontems, Aude de Castet et Michel Noblecourt (1), les auteurs de l'ouvrage, Le moteur du changement : la démocratie sociale, (ed. Lignes de repères – Fondation Jean Jaurès) s'attachent, eux, à défendre le «bilan positif» du Président. Notamment sur le front de la réduction des inégalités : «Dans ce temps où les Cassandre ont souvent droit de cité, osons le dire», s'exclament-ils. Mais c'est surtout la méthode mise en œuvre par le chef de l'Etat qui est plébiscitée : celle du dialogue social. D'où le boulevard ouvert à François Hollande en guise de préface.
«Depuis trois ans, j'ai souhaité que le dialogue social trouve dans notre pays toute sa place. D'ores et déjà, à travers trois grandes conférences sociales, plusieurs accords nationaux interprofessionnels ont été conclus […]. L'activité conduite par les partenaires sociaux et le gouvernement a donc été intense», se réjouit-il. Preuve en est : «Le nombre considérable d'accords d'entreprises» signés en 2014 ou encore les «20 accords de branche couvrant environ 9 millions de salariés» conclus dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Ainsi, pour le Président, si le dialogue social n'est pas «la solution miracle, il est le point de passage qui transforme les idées en projets et les projets en actes».
«Nouvel âge de la démocratie sociale»
Mais avec des bornes : «Les champs laissés aux partenaires sociaux représentatifs doivent être élargis, sans remettre en cause notre droit du travail, dès lors que le principe majoritaire est désormais reconnu et qu'il est de nature à donner aux accords conclus une plus forte légitimité.» D'où sa conclusion, sous forme d'appel : «Ce nouvel âge de la démocratie sociale reste à écrire. Il revient aux acteurs sociaux de prendre leurs responsabilités, aux responsables politiques d'en comprendre l'enjeu.»
La balle est donc dans le camp des partenaires sociaux. Ils devront faire vite, Manuel Valls ayant annoncé un projet de loi sur la réforme du droit du travail avant l'été 2016. En amont de cette phase de concertation qui s'ouvre entre représentants des salariés et du patronat, l'ouvrage propose donc d'éclairer ces enjeux, en commençant par retracer l'histoire de la «démocratie sociale», ce concept ancien «apparu pour la première fois en 1840 sous la plume de Louis Blanc», raconte, dans les premières pages, Michel Noblecourt. Et qui finit par se retrouver dans le programme du Conseil national de la Résistance et dans le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans celle de 1958, qui décrit la France comme une «République indivisible, laïque, démocratique et sociale».
Mais si «cette idée neuve vient de loin», les auteurs rappellent qu'elle n'a pas toujours fait consensus. Y compris chez les socialistes longtemps divisés sur le sujet, alors que François Hollande était encore secrétaire général du parti. «Au moins jusqu'aux primaires citoyennes de 2011, le Parti socialiste campe plutôt, dans sa majorité, sur une posture de défiance envers les organisations syndicales et patronales quant à leurs capacités d'engranger des progrès sociaux, notamment dans une période de crise», note le livre. Mais le militant PS s'est depuis converti, pour devenir «le principal apôtre de cette démarche qualifiée plus tard de "méthode hollandaise"». Et ce, grâce à un travail de persuasion mené, «dans les coulisses», par un expert de la question sociale, qui n'est autre que Jacky Bontems, «véritable "ordonnateur" du candidat sur les questions sociales et l'animation des réseaux».
«Accouchée au forceps»
L'ouvrage se penche donc sur les réformes mises en place, une fois Hollande et sa démocratie sociale arrivés à l'Elysée. La première grande conférence sociale, un «succès», la deuxième «qui permet de conforter la méthode» et la dernière, en 2014, «accouchée, certes au forceps, mais [dont la] production est bien vivace». La méthode marche donc, nous disent, en substance, les auteurs, mais il faut l'améliorer. La recette proposée – le compromis et le développement du dialogue social de terrain – ne s'éloigne guère de celles déjà entendues jusqu'alors. Le livre ne manque pas d'ailleurs de faire un clin d'œil aux travaux de Jean-Denis Combrexelle, Bruno Mettling ou encore Antoine Lyon-Caen qui ont balisé le débat au cours des dernières semaines. Mais les auteurs insistent sur la nécessité d'intégrer à la réflexion les mutations du monde du travail. Celles nées de la mondialisation, de la financiarisation ou encore du «printemps du numérique» et de ses «nouveaux emplois et nouveaux statuts».
Reste une autre question posée par le livre : «La démocratie sociale a-t-elle des acteurs pour jouer la pièce ?» Pas si sûr. Car, «pour faire vivre la démocratie sociale, il faut des acteurs légitimes. Une exigence d'autant plus délicate dans un pays comme la France qui souffre, depuis l'origine du syndicalisme, d'une sous-syndicalisation chronique», pointe l'ouvrage. D'où l'impératif de redonner aux syndicats leur juste place dans le débat public.
(1) Jacky Bontems, ancien numéro 2 de la CFDT, est chargé de mission à France stratégie et président du groupe de réflexion Réseau 812. Aude de Castet est vice-présidente de Réseau 812. Michel Noblecourt est journaliste au Monde.