Eternel gag de l’arroseuse arrosée ? Catherine Hutin-Blay, héritière indirecte de Picasso, avait porté plainte pour vol de tableaux au printemps dernier. Mais l’enquête pénale en cours pourrait laisser entendre que cette fille de la dernière compagne du peintre (Jacqueline) aurait au contraire été poussée à mettre l’argent à gauche, pour mieux dissimuler l’éparpillement de certaines œuvres.
A relire notre enquête Picasso : l'oligarque, l'héritière et le marchand d'art
Un premier compte bancaire au Lichtenstein avait été mis en lumière la semaine dernière par Yves Bouvier, intermédiaire sur le marché de l'art, mis en examen pour recel de vol à propos de son rachat de deux gouaches de Picasso, Tête de femme et Espagnole à l'éventail. Bouvier admet n'avoir jamais rencontré directement l'héritière, mais versé les fonds correspondants (huit millions de dollars) en décembre 2010 à une structure offshore immatriculé à Vaduz (Nobilo Trust) sur la suggestion d'un avocat suisse, Me Michel Abt. Ce dernier n'a pas encore répondu à nos sollicitations et son homologue française, Me Anne-Sophie Nardon, se contente de diffuser un bref communiqué de presse selon lequel sa cliente «n'est bénéficiaire d'aucun trust» et «n'a jamais donné son consentement pour les ventes réalisées à son insu». Dont acte.
Grand seigneur
Deuxième couche ? Yves Bouvier a également trace d'un autre versement effectué dans son esprit à Catherine Hutin-Blay : de moindre ampleur (200 000 euros), six mois plus tard (août 2011), à propos du rachat d'une autre œuvre de Picasso, Peintre et Modèle. Et cette fois à destination d'une société immatriculée à Panamá (Alpamayo Corp). La juge d'instruction parisienne en charge de l'affaire, Isabelle Rich-Flament, va devoir multiplier les commissions rogatoires internationales en vue de vérifier les ayants-droits de ces coquilles offshore.
Dmitri Rybolovlev, oligarque russe installé à Monaco, en conflit désormais ouvert avec Yves Bouvier qui fut longtemps son marchand de tableaux préféré, racheteur final en 2013 des deux premières gouaches, s'était joint à la plainte de Catherine Hutin-Blay. Pour preuve de sa bonne foi, il promettait depuis de restituer à l'héritière Picasso ces deux œuvres réputées volées. Grand seigneur mais un peu lent à la détente, le patron de l'AS Monaco envisage de passer enfin à l'acte ce jeudi 24 septembre, lors d'un raoût people organisé à Paris. Las, cette touchante scène juridico-médiatique vient d'être réorientée en dernière minute : ce n'est plus à Catherine Hutin-Blay mais à la Brigade de répression du banditisme qu'elles seront remises. Le Lichtenstein puis Panamá en seraient-ils la cause ? Le même jour, les avocats d'Yves Bouvier plaideront la nullité des poursuites engagées à Monaco sur une autre plainte déposée localement par Dmitri Rybolovlev. A trop vouloir interférer sur les procédures pénales en cours…
DROIT DE REPONSE DE MADAME CATHERINE HUTIN
« Vous avez fait paraître dans votre édition du 22 septembre 2015 un article intitulé « Picasso : la valse offshore des tableaux ». Les affirmations inexactes et les propos calomnieux concernant Mme Hutin ne peuvent être laissés sans réponse. Mme Hutin réaffirme catégoriquement n’avoir jamais cédé les œuvres disparues d’un entrepôt à Gennevilliers avant d’être vendues par M. Bouvier. Elle n’a jamais touché le moindre centime correspondant à ces transactions, que ce soit en France ou ailleurs. Quant à l’imputation selon laquelle Madame Hutin chercherait à «éparpiller» les œuvres dont elle a hérité, rien ne saurait être plus faux. Au contraire, elle a toujours eu à cœur de veiller à la conservation de sa collection et à sa diffusion mondiale par de nombreux prêts, à titre gratuit, auprès d’institutions publiques et privées. Ces rumeurs correspondent à une stratégie de défense consistant à discréditer la victime dans l’espoir de dissimuler, voire de justifier aux yeux du public, le mal qui lui a été infligé. Ces propos sont d’autant plus préjudiciables qu’ils visent une affaire pénale en cours couverte par le secret de l’instruction dans laquelle Madame Hutin est partie civile.»