En France, on adore débattre de l’allaitement. Et pour cause, rarement une pratique n’a été autant chargée d’idéologie, d’affirmations péremptoires voire de malentendus, en même temps qu’elle est entre les mains d’une seule personne qui a, sur ce sujet, ses propres désirs et secrets.
«Il faut allaiter», tranche l'Organisation mondiale de la santé. Les raisons sont connues, et on les répète à satiété. «Le lait maternel couvre à lui seul les besoins nutritionnels du nourrisson pendant les six premiers mois de la vie, il a également des effets bénéfiques sur la santé du nourrisson ainsi que sur celle de sa mère». Qui dit mieux ? De ce fait, l'OMS recommande un allaitement maternel exclusif (de tout autre aliment ou boisson) jusqu'à l'âge de 6 mois, suivi d'un allaitement partiel jusqu'à l'âge de 2 ans.
Ce n'est pas tout à fait le cas dans l'Hexagone. Et ce mardi, une vaste étude (1) est publiée dans le BEH, montrant que les femmes allaitent certes un peu plus qu'avant et un peu plus longtemps, mais qu'on est loin des objectifs. Ainsi, «parmi les 70% de mères ayant initié un allaitement, la moyenne de durée d'allaitement était de 17 semaines et celle de l'allaitement prédominant était de 7 semaines». Et à six mois, moins d'un enfant sur cinq recevait encore du lait maternel.
Cette étude, dite Elfe, a consisté à suivre plus de 18 000 enfants nés dans 320 maternités françaises. Elle donne des éléments inédits sur les différences de pratique, sur les raisons paradoxales qui poussent ou non à l'allaitement, mais aussi souligne l'importance du contexte dans lequel vit la mère. Exemple de quelques liens de causalité. L'âge, par exemple : «la durée d'allaitement est plus courte chez les mères âgées de moins de 30 ans, vivant seules, ayant un faible niveau d'études ou ayant repris le travail moins de 10 semaines après l'accouchement».
Le statut social, évidemment : «l'allaitement est plus long chez les mères cadres (que chez les mères employées), en congé parental (que chez celles qui avaient un emploi), ainsi que chez celles ayant suivi des séances de préparation à la naissance».
Autre facteur plus inattendu, le rôle du père : la durée de l'allaitement est plus longue lorsque les pères assistent à l'accouchement. «Le père est un acteur clé du soutien de la femme allaitante… La perception ou ses préférences en matière d'allaitement ne sont pas sans effet sur la durée d'allaitement». Une autre étude, dite Épifane, avait déjà souligné «qu'une vision négative de l'allaitement par le conjoint mène à une durée d'allaitement plus courte».
Le pays de naissance des parents et la situation professionnelle du père jouent, également, un rôle. «Notre étude met en lumière l'importance de l'origine géographique des familles. Ainsi, les enfants dont l'un des parents au moins est né à l'étranger sont allaités plus longtemps que les enfants dont les deux parents sont nés en métropole».
Il y aurait aussi une différence dans la durée d'allaitement selon le statut conjugal des mères. «Les mères seules et celles non mariées mais en couple allaitent moins longtemps que les mères mariées».
Plus classique, l'étude rappelle l'influence du poids de la mère. Pour dire vite, plus elles sont fortes, moins elles allaiteraient. Pour des raisons physiologiques, ces mères ayant une faible sécrétion de prolactine, hormone essentielle à la lactation, mais aussi pour des raisons psychiques, car elles ont bien souvent une mauvaise image de leur corps. «La durée de l'allaitement maternel serait en moyenne plus courte de deux semaines pour les mères en surpoids et de quatre semaines pour les mères obèses relativement aux mères dites normales».
Au final, ce travail pointe un «décrochage» de la prévalence de l’allaitement prédominant à 1 mois et demi, ce qui pourrait correspondre à une anticipation de la reprise du travail. Seuls 18,3% des nourrissons étaient encore allaités de manière prédominante à 4 mois. Alors que nos voisins européens, comme l’Allemagne et l’Italie, ont une prévalence de l’allaitement prédominant à 3-4 mois qui avoisine les 50%. Encore la faute, en somme, à notre sécurité sociale.
(1) «Durée de l'allaitement en France selon les caractéristiques des parents et de la naissance. Résultats de l'étude longitudinale française Elfe» coordonné par Sandra Wagner, dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) du 22 septembre 2015.