C’est une nouvelle pierre dans le jardin du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Dévoilé mercredi, le rapport de Proxinvest consacré à la rémunération des dirigeants, s’interroge ouvertement sur l’efficacité des règles de bonne conduite dont le patronat s’est doté en 2012 (le code Afep-Medef) pour éviter abus et gratifications démesurées.
Pour dissuader le gouvernement Hollande de légiférer, le patronat s'est astreint à plus de transparence: les émoluments des dirigeants devraient désormais faire l'objet d'un vote consultatif («say on pay») lors des assemblées générales des actionnaires. A l'évidence, cette avancée louable n'a pas suffi à freiner l'avidité des tops managers. Lesquels, quand le besoin s'en fait sentir, ignorent tout simplement la contrainte. Début septembre, la prime pharaonique (13,7 millions d'euros) accordée, en toute opacité, par le conseil d'administration d'Alcatel Lucent à Michel Combes son directeur général en partance, l'a démontré. Et ce n'est que sous la pression d'un scandale public, que l'équipementier télécoms a consenti à modérer sa générosité. Laquelle reste démesurée: les 7,9 millions d'euros finalement octroyés à Combes sont toujours très supérieurs à ce à quoi il aurait pu prétendre au regard des règles internes approuvées par les actionnaires…
En finir avec l’entre-soi
Or, le cas Combe souffre plusieurs précédents récents, souligne Proxinvest qui cite les noms de Patrick Kron chez Alstom, de Bruno Laffont chez Laffarge ou d'Olivier Brandicourt, pour le «golden hello» dont l'a gratifié Sanofi. Avant de s'attarder sur celui de Christopher Viehbacher, ancien directeur général de Sanofi (12,5 millions de rémunération totale dont 4,26 millions d'indemnisation de départ): «Alors que les conditions d'octroi de son indemnité de départ, préalablement approuvée par l'assemblée générale, n'étaient pas remplies, précise Proxinvest, les administrateurs lui octroyèrent tout de même début 2015 une nouvelle indemnité transactionnelle de départ de 2,9 millions d'euros et un engagement de non-concurrence estimé à 1,3 million d'euros. En sus, la condition de présence sur les actions de performance et stock-options fut levée»…
Autre sujet de frottement, les augmentations que certains patrons s'octroient dans le confortable entre-soi des conseils d'administration. Avec 56% de hausse de rémunération en 2014, le patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn décroche la palme. «C'est une belle arnaque!, s'emporte Loïc Dessaint, le directeur général de Proxinvest. Pour justifier ces 15,2 millions annuels, Ghosn a dit s'être reposé sur la moyenne des rémunérations des patrons du secteur automobile, calculé par une étude "indépendante". Mais il a omis de préciser que cette moyenne intégrait la prime de 80 millions d'euros que s'était attribué le patron de Chrysler lors du rapprochement avec Fiat!» En 2015, lors de l'assemblée générale de Renault-Nissan, ce trop somptueux «say on pay» provoque une bronca sans précédent: près de 42% des actionnaires du groupe, votent contre. En pure perte. «Les investisseurs français ont presque tous voté contre mais les étrangers ont eux émis un avis favorable, précise Loïc Dessaint. Et c'est probablement parce que les documents fournis par le groupe ne leur ont pas permis de comprendre la réalité des rémunérations multiples de Ghosn!»
240 SMIC maximum
Las d'être roulé dans la farine, Proxinvest sort le bazooka. Primo, le cabinet d'analyse financière invite ses mandants à s'opposer à la nomination de certains administrateurs, par trop conciliants avec leurs pairs. Sa black list vient de s'enrichir d'un nom: celui de Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d'Air France KLM, qui siège notamment au conseil d'Alcatel Lucent, Saint Gobain ou Gdf Suez. «Avant l'affaire Combes, il avait déjà chez Air France conclu le même type d'accord lors du départ de Pierre-Henri Gougeon…», justifie Loïc Dessaint. Secundo, Proxinvest recommande de fixer dans la loi un «ratio d'équité», permettant de comparer la rémunération des dirigeants avec celles de la moyenne des salariés du groupe. «Il y a dix ans, nous avions estimé la rémunération maximale socialement acceptable à 240 SMIC. A l'époque, 31 patrons du SBF 120 excédaient cette limite, ils ne sont plus que 16, se réjouit Proxinvest. Il faut aller plus loin.»
Surtout, pour en finir avec les abus, Proxinvest réclame l'intervention du législateur. Son souhait: obliger les entreprises à soumettre leur politique de rémunération avant leur entrée en application à l'approbation formelle des assemblées générales, comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne. «Le projet de directive de mars 2014 sur la rémunération des dirigeants le prévoyait, rappelle le directeur de Proxinvest. Mais les lobbies patronaux sont passés par là. Au sortir du Parlement et du Conseil européen, le texte précisait que cette disposition ne valait qu'en cas d'accord des Etats membres. Or l'influence du patronat est telle à Bercy qu'il n'est pas certain que cela passe en France…»
publié par
[ Liberation.fr ]